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Le partage des connaissances et des technologies, élément clé de la lutte anti-Covid

L’approche purement commerciale de la fabrication de produits médicaux vitaux sape la réponse sanitaire mondiale

(New York, le 14 septembre 2021) – Les gouvernements de pays riches et les entreprises pharmaceutiques compromettent les chances d’une réponse rapide et équitable en matière de santé publique à la crise du Covid-19 par le biais de vaccins, de médicaments thérapeutiques et tests, ont indiqué des chercheur·euse·s de Human Rights Watch dans un article publié avant la tenue d’une réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) cette semaine. Human Rights Watch a également diffusé une vidéo à ce sujet. Les gouvernements et les entreprises devraient partager d’urgence les connaissances et les technologies requises pour sauver des vies, protéger le droit à la santé et garantir que toutes les personnes puissent bénéficier de la recherche scientifique, en particulier à l’égard du variant Delta, qui est extrêmement contagieux.

L’article, intitulé « COVID-19 Exposes Warped Global Health Power: The System Needs a Course Correction » (« La pandémie de Covid-19 révèle une autorité de santé mondiale chancelante : il faut changer de cap »), publié le 31 août 2021 dans la revue Business and Human Rights Journal, décrit comment, sous la pression de firmes pharmaceutiques puissantes, une poignée de pays à revenu élevé a fait retarder une proposition de dérogation temporaire aux règles commerciales internationales et aux droits de propriété intellectuelle, qui permettrait d’améliorer l’accès à des vaccins vitaux et à d’autres produits de soins de santé. S’appuyant sur des recherches et des analyses de Human Rights Watch au sujet des difficultés d’approvisionnement en vaccins anti-Covid, il révèle comment des gouvernements se sont soustraits à leur responsabilité de réglementation des entreprises pharmaceutiques. Les gouvernements qui financent le développement de ces vaccins avec des fonds publics ont omis de conditionner ces financements à l’accessibilité des produits fabriqués et au partage des technologies. À la place, ils laissent les entreprises décider comment, quand et où fabriquer et distribuer les vaccins et fixer leur prix, a déclaré Human Rights Watch. Au lieu de partager leurs connaissances et leurs technologies, certains gouvernements redistribuent une trop faible portion de vaccins aux pays plus pauvres tout en laissant les firmes pharmaceutiques fixer les prix.

« À attendre la bienfaisance des gouvernements de pays riches et des firmes pharmaceutiques, un coup fatal a été porté aux droits fondamentaux », a déploré Aruna Kashyap, directrice adjointe de la division Entreprises et droits humains à Human Rights Watch et coautrice de l’article. « Il est inadmissible que des pays riches assimilent des soins de santé vitaux à une marchandise et usent de leur pouvoir au sein de l’OMC pour asservir le droit à la santé aux intérêts pharmaceutiques et commerciaux. »

L’accès aux vaccins anti-Covid reste largement inégal. Les trois quarts des plus de 5 milliards de doses de vaccin administrées dans le monde entier sont restés concentrés dans 10 pays à peine, nous apprend l’OMS. Alors que certains gouvernements de pays riches ont commencé à administrer une troisième dose de « rappel », seuls deux pour cent de la population africaine est complètement vaccinée. Le directeur général de l’OMS a appelé à un moratoire sur les doses de rappel afin que les vaccins parviennent d’abord à celles et ceux n’ayant pas encore reçu leur première dose.

La pandémie a révélé les dangers liés à la concentration des capacités de fabrication de vaccins vitaux dans un nombre restreint de pays, surtout lorsque les gouvernements refusent de rendre prioritaires et obligatoires les levées de la propriété intellectuelle et les transferts de technologies, qui permettraient d’accélérer, de diversifier et de mondialiser la production. Cela a entraîné des inégalités profondes d’accès à des produits thérapeutiques nécessaires pour sauver des vies.

Après des mois de débats au sein de l’OMC, l’OMS et les autorités de santé publique dans le monde entier restent dans le flou le plus total. En mai, les États-Unis ont fait savoir qu’ils soutiendraient les négociations sur le texte de proposition de dérogation. En revanche, la Commission européenne, qui représente les États membres de l’Union européenne, la Suisse et plusieurs autres pays à revenu élevé n’ont eu de cesse de retarder et d’entraver les efforts menés pour obtenir une adoption rapide de la dérogation. Les négociations ont repris à Genève le 14 septembre.

En attendant, les pénuries de vaccins et les politiques inéquitables de distribution des vaccins ont causé des inégalités dans plusieurs pays, notamment en Inde, en Australie, au Liban, en Syrie, au Yémen et au Brésil.

La proposition de dérogation temporaire aux règles de commerce international et de propriété intellectuelle, qui bénéficie du soutien de plus de 100 États, si elle était adoptée par l’OMC, enverrait le message que, dans le contexte actuel de pandémie, le plus urgent est d’assurer les soins de santé vitaux.

Dans le droit international, il est reconnu que chaque personne a le droit de bénéficier du progrès scientifique. Depuis le début de la pandémie, les organismes de défense des droits humains des Nations Unies n’ont cessé de répéter que les États ont l’obligation de partager les bienfaits de la recherche scientifique. Les gouvernements ont des obligations en matière de coopération internationale. Ils devraient éviter toute mesure interférant, directement ou indirectement, avec la jouissance des droits dans d’autres pays. Cette obligation s’étend à leurs actions au sein d’organisations intergouvernementales comme l’OMC.

La plupart des gouvernements ont également écarté les groupements de partage des technologies mis en place par l’OMS. Pour la première fois, l’OMS a instauré en mai 2020 un groupement de mise en commun volontaire des technologies liées aux produits médicaux anti-Covid-19, qui aurait permis le partage des technologies vaccinales et facilité une production et une distribution plus rapides. Cependant, seuls 41 États ont marqué leur soutien au groupement. La plupart des autres pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et nombre d’autres États membres de l’UE, ainsi que la Commission européenne n’ont toujours pas fait part de leur adhésion au groupement. Aucun de ces gouvernements n’a usé de son influence ou de son poids pour convaincre les sociétés pharmaceutiques dont ils ont financé les vaccins de participer au groupement d’accès aux technologies.

L’OMC est une organisation intergouvernementale dont le but est la réglementation et la facilitation du commerce entre les pays. Sa promotion du commerce et de la protection de la propriété intellectuelle a souvent pris le pas dans l’histoire sur la santé, l’environnement ou le bien-être humain. Cette tendance a eu des conséquences fatales durant la pandémie en ralentissant la réponse publique alors qu’au moins 4,5 millions de morts sont déjà à déplorer.

« La pandémie de Covid-19 a démontré que le système nécessite un changement de cap, attendu depuis trop longtemps, de sorte que l’OMS soit valorisée, et non diminuée, par l’OMC », a déclaré Margaret Wurth, chercheuse senior à Human Rights Watch et coautrice de l’article. « Pour aller de l’avant, il est crucial que les pays participent aux plateformes de mise en commun des technologies proposées par l’OMS et lèvent temporairement les droits de propriété intellectuelle. »

Les États ne devraient pas contrecarrer les efforts menés par d’autres gouvernements pour veiller au respect de leurs obligations vis-à-vis des droits humains, notamment lors de la négociation d’accords internationaux ou de la participation à des prises de décision en tant que membres d’organisations internationales, par exemple en invoquant les droits de propriété intellectuelle dans le but de ralentir la distribution ou la production des vaccins. Non seulement ces pays manquent à leurs obligations vis-à-vis des droits humains, mais ils empêchent une réponse sanitaire rapide, et tout cela diminue fortement la capacité des pays à revenu faible ou moyen à atteindre les objectifs de développement durable des Nations Unies.

La pandémie a suscité des débats autour d’un traité international sur les pandémies, qui pourrait voir le jour dans les mois à venir. Un tel traité devrait prévoir des mesures de protection des droits humains, notamment des mécanismes d’alerte pour lever automatiquement les droits de propriété intellectuelle, la prescription d’une plus grande transparence et l’obligation de rendre des comptes pour ce qui est de la passation de marchés mondiaux.

« Il nous faut de toute urgence des normes sanitaires applicables à l’échelle mondiale qui ôteraient toute valeur mercantile aux produits médicaux vitaux et donneraient la priorité à la santé et à la sécurité des personnes au lieu d’atermoiements et de faux-fuyants », a souligné Kyle Knight, chercheur senior à Human Rights Watch et troisième coauteur de l’article. « Une minorité puissante de pays riches a cyniquement donné la part belle à leurs propres intérêts et à ceux de leurs entreprises alors que le nombre de contaminations et de décès dans le monde monte en flèche. »

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