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Éthiopie : Des réfugiés érythréens ciblés dans la région du Tigré

Il faut d’urgence les protéger et leur fournir une assistance ; des milliers de personnes sont portées disparues

Image satellite datée du 27 janvier 2021, montrant la destruction partielle du camp de réfugiés de Hitsats, dans la région du Tigré dans le nord de l’Éthiopie. Diverses infrastructures utilisées à des fins humanitaires ont subi des dégâts considérables. © 2021 Maxar Technologies (source Google Earth) / Human Rights Watch

(Nairobi, le 16 septembre 2021) – Les forces du gouvernement érythréen et les milices du Tigré ont commis des meurtres, des viols et d’autres graves abus à l’encontre de réfugiés érythréens dans la région du Tigré en Éthiopie, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Tous les belligérants devraient cesser d’attaquer les réfugiés, se tenir loin des camps de réfugiés et faciliter l’arrivée de l’aide humanitaire.

Entre novembre 2020 et janvier 2021, les forces belligérantes érythréennes et tigréennes ont occupé alternativement les camps de réfugiés de Hitsats et de Shimelba, qui abritaient des milliers de réfugiés érythréens, et y ont commis de nombreux abus. Les forces érythréennes ont également ciblé des Tigréens vivant dans des communautés proches des camps. Les combats qui ont éclaté à la mi-juillet à Mai Aini et Adi Harush, les deux autres camps de réfugiés qui étaient encore opérationnels, ont de nouveau laissé les réfugiés en grand besoin de protection et d'assistance.

« Les réfugiés érythréens ont été attaqués à la fois par les forces qu’ils avaient fuies chez eux et par des combattants tigréens », a déclaré Laetitia Bader, directrice pour la Corne de l’Afrique à Human Rights Watch. « Ces révoltants massacres, viols et pillages à l’encontre des réfugiés érythréens du Tigré constituent clairement des crimes de guerre. »

Depuis janvier, Human Rights Watch a interrogé 28 réfugiés érythréens (23 anciens résidents du camp de Hitsats et cinq anciens résidents du camp de Shimelba) ainsi que deux habitants de la ville de Hitsats ayant assisté aux abus commis par les forces érythréennes et les milices tigréennes locales. Human Rights Watch a par ailleurs interrogé des travailleurs humanitaires et analysé des images satellitaires.

Human Rights Watch a envoyé des lettres résumant ses conclusions et demandant des éclaircissements à l’Agence éthiopienne pour les affaires des réfugiés et des rapatriés (ARRA), au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), à la Mission permanente de l’Érythrée auprès des Nations Unies ainsi qu’à d’autres organisations internationales à Genève. Les réponses de l’ARRA et du HCR sont incluses ci-dessous. Quant à l’Érythrée, elle n’a pas répondu.

Le 19 novembre, les forces érythréennes sont entrées dans la ville de Hitsats et y ont tué sans discrimination plusieurs habitants. Elles ont occupé et pillé la ville et ont pris le contrôle du camp de réfugiés. Certains réfugiés ont pris part au pillage, ce qui a contribué à des tensions communautaires. 

Le 23 novembre, les milices tigréennes sont entrées dans le camp de Hitsats et ont attaqué des réfugiés près de l’église orthodoxe du camp. Des affrontements se sont ensuivis pendant plusieurs heures entre les combattants des milices et les soldats érythréennes, dans le camp et aux alentours. Neuf réfugiés ont été tués et 17 gravement blessés.

Une réfugiée a déclaré que les miliciens tigréens avaient tué son mari alors que sa famille essayait de trouver refuge à l’intérieur de l’église : « Mon mari avait notre enfant de 4 ans sur le dos et celui de 6 ans dans ses bras. Lorsqu’il est revenu pour m’aider à entrer dans l’église, ils l’ont abattu. »

Plus d’une vingtaine d’habitants de la ville de Hitsats auraient aussi été tués ce jour-là, pendant et après les affrontements. La milice tigréenne s’est retirée de Hitsats après les combats.

Les forces érythréennes ont ensuite détenu une vingtaine de réfugiés dans le camp et les ont emmenés dans des véhicules militaires. Rien n’a été révélé de leur sort. Les forces érythréennes ont également retiré du camp les 17 réfugiés blessés, emmenant au moins l’un d’entre eux en Érythrée – mais probablement d’autres aussi –, ostensiblement pour y être soigné.

Les forces érythréennes ont quitté le camp début décembre. Les forces tigréennes sont revenues le soir du 5 décembre, tirant sur le camp et faisant prendre la fuite à des centaines de réfugiés. Les jours suivants, les miliciens tigréens ont attaqué, détenu arbitrairement et agressé sexuellement certaines personnes réfugiées qui s’étaient enfuies, notamment autour de Zelazle et de Ziban Gedena, au nord de Hitsats. Puis ils ont forcé les réfugiés à revenir à Hitsats.

« Je suis doublement victime », a déclaré une femme de 27 ans qui a été violée par des miliciens tigréens, de même que sa sœur de 17 ans, alors qu’elles s’enfuyaient de Hitsats. « D’abord en Érythrée, puis ici [en Éthiopie], je ne suis pas protégée. »

À Hitsats, les milices et forces spéciales tigréennes, ainsi que les membres d’un groupe armé érythréen non identifié, ont détenu arbitrairement des centaines de réfugiés, apparemment dans le but d’identifier les réfugiés qui avaient collaboré avec les forces érythréennes ou qui étaient responsables du pillage de la ville. 

Le 4 janvier, suite à de lourds affrontements près du camp, les forces tigréennes se sont retirées de Hitsats. Les forces érythréennes sont alors revenues et ont ordonné à tous les réfugiés restants de se mettre en marche le long de la route principale menant à l’Érythrée. Entre le 5 et le 8 janvier, les forces érythréennes ont détruit et incendié les abris et les infrastructures humanitaires du camp, laissant en ruines des parties importantes de ce camp.

La plupart des réfugiés ont alors dû faire face à une marche difficile, qui a duré des jours, en direction de la ville éthiopienne de Sheraro, puis de Badme, une ville frontalière disputée qui était alors sous le contrôle de l’Érythrée. Les réfugiés ont déclaré qu’une fois arrivés là-bas, beaucoup avaient le sentiment qu’il n’avaient d’autre choix que de retourner en Érythrée, malgré les risques d’y être détenus et de subir une conscription forcée à durée indéterminée. Des témoins ont raconté que des centaines de personnes étaient montées à bord de bus en direction de l’Érythrée en janvier.

D’autres réfugiés ont réussi à s’échapper pour revenir en Éthiopie, certains vers des zones urbaines ou dans les deux camps de réfugiés érythréens fonctionnant toujours dans le sud du Tigré : Mai Aini et Aid Harush. Le HCR a rapporté que fin août 2021, on était toujours sans nouvelles de 7 643 des 20 000 réfugiés dont on sait qu’ils résidaient dans les camps de Hitsats et Shimelba en octobre 2020. Beaucoup de réfugiés dont on a eu des nouvelles s’étaient enfuis à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne, mais ni le gouvernement éthiopien ni les partenaires internationaux ne leur ont apporté une assistance à ce jour. Les réfugiés qui ne reçoivent pas d’aide sont plus vulnérables aux abus futurs, y compris à l’exploitation, a déclaré Human Rights Watch.

« Pendant des années, le Tigré a constitué un havre pour les réfugiés érythréens fuyant les abus, mais beaucoup ont désormais le sentiment qu’ils n’y sont plus en sécurité », a conclu Laetitia Bader. « Après des mois de peur, d’abus et de négligence, l’Éthiopie, soutenue par ses partenaires internationaux, devrait s’assurer que tous les réfugiés érythréens aient immédiatement accès à une protection et une assistance. »

Communiqué intégral en anglais, avec des informations complémentaires : en ligne ici.

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