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Cameroun : Hausse des violences à l’encontre de personnes LGBTI

Ces personnes manquent de protection contre les attaques de bandes et les autorités arrêtent souvent les victimes

Un drapeau arc-en-ciel, symbole de la fierté LGBT. © Wikimedia Commons

(Nairobi) – Les forces de sécurité au Cameroun manquent à leur responsabilité de protéger les personnes LGBT contre les agressions violentes et, au lieu de cela, arrêtent souvent les victimes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. On observe une augmentation des cas de violence et d’abus commis contre les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) au Cameroun à ce jour en 2022, selon une importante organisation de la société civile.

Depuis le 9 mars, les forces de sécurité ont arbitrairement arrêté au moins six personnes et en ont placé 11 en détention, toutes victimes d’attaques commises par des bandes, pour avoir prétendument eu des rapports sexuels consentis entre personnes du même sexe et pour non-conformité de genre. Deux d’entre elles ont été passées à tabac par des gendarmes lors de leur détention.

« La loi du Cameroun qui criminalise les rapports sexuels entre personnes du même sexe a créé un climat dans lequel des Camerounais et les forces de sécurité se permettent d’agresser et d’abuser de personnes LGBTI en toute impunité », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités devraient agir d’urgence pour abolir cette loi discriminatoire et assurer que les droits humains de tous les Camerounais, quelles que soient leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leurs caractéristiques sexuelles, soient garantis. »

La loi au Cameroun interdit les rapports consentis entre personnes du même sexe, et en fait un crime passible d’un maximum de cinq ans de prison. Du fait que le Code pénal camerounais criminalise les rapports consensuels entre personnes de même sexe, et non pas l’identité LGBTI, les arrestations de personnes sur la base d’une simple perception de leur identité sont illégales. Néanmoins, l’environnement juridique, alourdi par une stigmatisation sociale et une discrimination généralisées, permet aux violences de proliférer ; en même temps, les forces de sécurité s'abstiennent de protéger les personnes LGBTI contre les violences collectives et, pire, arrêtent et placent en détention celles qui dénoncent ces violences.

L’article 347-1 du Code pénal camerounais, qui interdit les rapports consentis entre personnes du même sexe, et en fait un crime. Capture d’écran du Code pénal mis en ligne sur le site de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI, WIPO en anglais). https://www.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/fr/cm/cm014fr.pdf © 2022 OMPI/WIPO

Entre le 1er et le 22 avril, Human Rights Watch a mené des entretiens par téléphone avec 12 personnes, dont six avaient été agressées par des groupes ; parmi ces six personnes, quatre ont été elles-mêmes arrêtées et placées en détention. Human Rights Watch a également interrogé des avocats représentant des personnes LGBTI et quatre membres d’organisations non gouvernementales camerounaises qui défendent les droits des personnes LGBTI. Human Rights Watch a aussi examiné des rapports d’organisations LGBTI camerounaises, des documents judiciaires, des dossiers médicaux, des vidéos et des photos montrant les blessures des victimes et les dommages causés à leurs biens.

Une blessure subie par un enseignant de 32 ans qui a été violemment agressé le 9 mars 2022 par une bande l’accusant d’homosexualité à Buea, dans la région du Sud-Ouest au Cameroun. © 2022 Privé

Human Rights Watch a communiqué ses conclusions au ministre de la Justice, Laurent Esso ; à Galax Yves Landry Etoga, Secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense chargé de la Gendarmerie nationale ; et à Martin Mbarga Nguele, Délégué général à la Sûreté nationale, dans des lettres expédiées séparément le 2 mai et sollicitant des réponses à des questions relatives à ces conclusions. Human Rights Watch n’a toutefois reçu aucune réponse à ce jour.

Depuis le début de l’année, la Fondation camerounaise pour la lutte contre le SIDA (Cameroonian Foundation for AIDS, CAMFAIDS), une importante organisation de défense des droits humains qui fait du plaidoyer pour les personnes LGBTI, affirme avoir enregistré 32 cas de violence et d’abus commis contre des personnes LGBTI à travers le pays, soit une hausse de 88 % par rapport à la même période de 2021.

Le 10 avril, entre 7h00 et 9h00 du matin, une bande d’environ huit hommes armés de machettes, de couteaux, de bâtons et de planches de bois, a attaqué un groupe d’au moins 10 personnes LGBTI qui avaient participé à une soirée dans une résidence privée dans le quartier de Messassi à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que les hommes armés avaient d’abord battu un gardien, puis avaient fait irruption dans la résidence et avaient poursuivi leurs victimes à travers le quartier. Ils ont sévèrement battu 10 personnes LGBTI, ont affirmé les témoins et les victimes interrogées.

« Trois hommes m’ont roué de coups de pied, m’ont giflé, m’ont tiré par les vêtements, m’ont volé mon sac avec mon téléphone et mon argent, uniquement parce qu’ils disaient que je suis homosexuel », a déclaré l’une des victimes. « Tous les habitants du quartier étaient dehors à regarder pendant qu’on m’agressait… Personne n’a osé me venir en aide. »

Un responsable local du quartier a essayé de porter assistance à deux des victimes, les emmenant à une brigade de gendarmerie. Mais les gendarmes de service les ont eux-mêmes passés à tabac et humiliés, puis les ont remis en liberté plus tard dans la journée après qu’ils eurent versé un pot-de-vin de 15 000 francs CFA (24 dollars US).

« Les gendarmes nous ont retenus à l’entrée de la brigade, au sol », a déclaré un homme de 21 ans. « Ils nous ont traités de ‘pédés’, de ‘démons.’ Ils nous ont dit : ‘Nous devrions vous tuer car vous êtes des monstres’ et ils ont fouillé dans nos téléphones pour trouver des ‘preuves’ que nous étions gays. Ils nous ont ordonné d’ôter nos chaussures et nous ont frappés sur la plante des pieds avec une machette. »

Les huit autres personnes LGBTI sont restées aux mains de la bande violente pendant au moins deux heures. Certaines ont été blessées et dévalisées, notamment de leur argent et de leurs téléphones. Le 13 avril, la CAMFAIDS a déposé plainte auprès de la gendarmerie au nom des victimes pour agression, violences, traitement inhumain et dégradant, vol, menaces, diffamation et violation de propriété privée. L’enquête de la gendarmerie n’a pas encore commencé.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a affirmé que la criminalisation des rapports sexuels consensuels entre adultes de même sexe constitue une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dont le Cameroun est un État partie. Les Principes de Jogjakarta, sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, affirment qu’il incombe aux États d’«… empêcher et fournir une protection contre […] les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, perpétrés pour des raisons liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre de la victime, ainsi que contre l’incitation à ces actes ».

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples appelle explicitement les États membres, dont le Cameroun, à protéger les minorités sexuelles et de genre, en conformité avec la Charte africaine, et a exhorté les gouvernements à protéger les personnes contre les violences commises sur la base de leur identité ou orientation sexuelle, et à traduire leurs auteurs en justice.

« La criminalisation par le Cameroun des relations sexuelles entre personnes du même sexe non seulement constitue une violation de ses obligations découlant de sa loi nationale et du droit international, mais elle génère une atmosphère de violence et de haine à l’égard des personnes LGBTI », a déclaré Alice Nkom, éminente avocate camerounaise spécialisée dans les droits humains et activiste LGBTI.

Human Rights Watch a déjà documenté dans le passé une hausse des actions policières contre les personnes LGBTI au Cameroun. Entre février et avril 2021, les forces de sécurité ont arrêté au moins 27 personnes, dont un mineur, pour avoir prétendument eu des rapports consensuels entre personnes de même sexe ou pour non-conformité de genre, passant à tabac et soumettant certains, dont trois adolescents âgés de 15 à 17 ans, à des examens anaux forcés lors de leur détention. Ces examens, qui n’ont aucune valeur probante, sont considérés par le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture comme une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant constituant un mauvais traitement pouvant être assimilé à de la torture.

Human Rights Watch a également documenté des attaques commises en bande contre deux femmes transgenres en 2021, et contre une personne intersexe à Yaoundé en novembre.

« Les personnes LGBTI sont agressées, menacées et humiliées en pleine rue, alors que leurs assaillants ne sont pas inquiétés », a affirmé Ilaria Allegrozzi. « Les autorités et les forces de sécurité camerounaises devraient protéger les citoyens, au lieu de violer leurs droits à cause de leur sexualité ou de leur identité de genre présumées. »

Informations détaillées sur les récentes violences à l’encontre de personnes LGBTI

Agression en bande et détention arbitraire d’un enseignant à Buea (9 mars)

Le 9 mars, une bande d’au moins une dizaine de personnes a agressé un enseignant âgé de 32 ans à Buea, dans la région du Sud-Ouest, l’accusant d’homosexualité, et l’a giflé, roué de coups de pied et traîné au sol. La police a arrêté trois des agresseurs présumés mais s’est contentée de recueillir leurs dépositions, puis les a remis en liberté, selon l’avocat de la victime. La police a également arrêté l’enseignant sous le soupçon d’homosexualité. Il a été remis en liberté le lendemain après avoir versé un pot-de-vin de 50 000 francs CFA (82 dollars US).

Human Rights Watch s’est entretenu avec un membre d’une association LGBTI camerounaise qui a documenté l’incident, et avec l’avocat de l’enseignant, et a examiné des photos montrant les blessures subies par ce dernier. L’avocat a déclaré :

Quand je suis allé voir l’enseignant au commissariat de police, j’ai été choqué de voir l’état dans lequel il était. Il avait un caillot de sang dans l’œil droit, son visage était tuméfié, ses vêtements déchirés. J’ai demandé à l’inspecteur [de police] de mettre la santé de mon client avant toute autre chose. Mais l’enseignant a passé la nuit au commissariat et n’a été emmené à une infirmerie que le lendemain matin. Il n’a pas été examiné par un médecin, on s’est contenté de lui donner des sédatifs. Au commissariat, les policiers ont intimidé mon client et lui ont lu [la section du] Code pénal qui criminalise les relations sexuelles entre personnes de même sexe. L'application de cet article au Cameroun est totalement arbitraire et mène souvent à des violences à l’encontre de personnes qui peuvent être arrêtées et poursuivies en justice sur un simple soupçon qu’elles sont LGBTI.
L’avocat a indiqué que l’enseignant a arrêté de travailler, tout en conservant son salaire, après qu’il eut reçu un appel du proviseur de l’établissement suggérant qu’il serait muté dans une autre institution.


L’avocat a également précisé que l’enseignant ne souhaitait pas engager une action judiciaire contre ses agresseurs, de crainte de représailles et d’ostracisme.

Agression en bande et arrestation arbitraire de 6 personnes LGBTI à Douala (31 mars)

Le 31 mars, à 10h00 du matin, une bande d’une quinzaine d’hommes armés de bâtons, de tessons de bouteille, de couteaux et de machettes est entrée de force dans au moins deux résidences dans le quartier de Mabanda à Douala, la capitale économique du Cameroun. Ils ont détruit des biens et menacé des personnes qu’ils soupçonnaient d’être LGBTI. Les attaquants ont ensuite appelé la police, qui est venue et a arrêté au moins six hommes, les accusant d’homosexualité, ont affirmé deux des victimes. Un homme a été remis en liberté le même jour, tandis que les cinq autres l’ont été entre le 1er et le 4 avril. Au moins un d’entre eux a dû verser un pot-de-vin aux policiers pour obtenir sa remise en liberté.

Les deux hommes interrogés ont été dévalisés et menacés par le groupe, et ultérieurement arrêtés. Ils ont montré à Human Rights Watch des photos des dommages causés à leur domicile et à leurs biens personnels. Human Rights Watch s’est également entretenu avec deux membres d'une organisation de défense des LGBTI basée à Douala qui ont porté assistance aux victimes pendant leur détention et après.

L'un de ces deux hommes, âgé de 23 ans, a déclaré :

J’étais chez moi, endormi. Deux de mes amis dormaient aussi chez moi. J’ai entendu du bruit dehors. Quelqu’un frappait à la porte avec insistance. Alors j’ai ouvert et une quinzaine d’hommes ont pénétré de force à l’intérieur en criant : ‘Les voilà les homosexuels ! Regardez-les ! Vous êtes de mauvaises créatures ! Dieu devrait vous punir !’ Ils ont éparpillé des objets partout, mis ma chambre sens dessus dessous. Ils m’ont volé mon argent et mon téléphone. J’avais peur. J’ai vu que d’autres hommes armés entraient de force dans une autre maison toute proche. Ils [les hommes armés] ont appelé la police. Les policiers sont arrivés, sont entrés chez moi et ont fouillé partout. Ils ont trouvé du lubrifiant et des préservatifs et nous ont accusés d’être homosexuels. Ils m’ont passé les menottes, ainsi qu’à mes amis, et nous ont emmenés au commissariat.


L'autre victime, âgée de 21 ans, a déclaré :

Au commissariat de police, les agents se sont moqués de nous et nous ont traités de ‘pédés.’ Ils ont pris ma déposition et m’ont placé dans une cellule. Là, d’autres personnes m’ont aussi insulté. Le lendemain, ils m’ont remis en liberté, mais seulement après que ma sœur soit venue et ait versé un pot-de-vin de 100 000 francs CFA (164 dollars US) à la police.


Agression en bande d’un homme homosexuel et de membres de sa famille à Yaoundé (5 avril)

Lors d’une attaque qui a duré de 8h00 à 11h00 du soir le 5 avril, un groupe de personnes a passé à tabac, menacé, insulté et humilié un homme homosexuel de 29 ans, devant son domicile dans le quartier de Bastos à Yaoundé, ainsi que sa mère, âgée de 55 ans, et sa sœur, âgée de 16 ans, qui essayaient de le défendre. Les assaillants, un groupe d’au moins 20 hommes et femmes, certains armés de bâtons, ont également lancé des pierres sur la maison des victimes, causant des dommages.

Human Rights Watch s’est entretenu avec cet homme et a consulté des dossiers médicaux, des documents judiciaires, des vidéos et des photos montrant ses blessures et celles des membres de sa famille, ainsi que les dommages subis par leur maison.

Il a déclaré :

J’étais devant la maison familiale … Une femme, ma voisine, s’est approchée de moi et a jeté dans ma direction un pot d’urine. J’ai cru que c’était une maladresse mais elle a commencé à m’injurier. Elle a dit qu’elle ne voulait pas me voir dans les parages parce que je suis gay. Puis elle a appelé les autres voisins, qui sont tous venus m’encercler, ainsi que ma sœur qui était sortie pour prendre ma défense. Ils ont commencé à nous frapper, j’ai reçu des coups partout sur le corps. Ma mère est sortie à son tour et un homme qui faisait partie de cette bande violente l’a frappée d’un coup de bâton sur le nez. Elle s’est évanouie et est tombée au sol. Alors que nous l’emmenions rapidement vers la maison, la bande a commencé à nous lancer des pierres. Ils criaient : ‘Lapidons-les !’ Des pierres ont fracassé les vitres des fenêtres.

Selon des dossiers médicaux de l’hôpital Elig Essono de Yaoundé, que Human Rights Watch a pu consulter, la mère de cet homme avait des hématomes multiples sur tout le corps et une blessure au nez. Le médecin a décidé qu’elle ne pourrait pas travailler pendant au moins 10 jours à cause de la gravité de ses blessures.

Le 7 avril, la CAMFAIDS a porté plainte auprès de la police au nom de cet homme, pour agression, coups et blessures et traitement inhumain et dégradant. La CAMFAIDS lui apporte un soutien, y compris une aide médicale et psychologique. L’enquête de la police n’a pas encore commencé.

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