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Flambée de violence sexiste en ligne, inertie des gouvernements

© 2020 Brian Stauffer pour Human Rights Watch

Par Heather Barr

Des hommes qu’elle ne connaissait pas sont venus sur le lieu de travail de Kang Yu-jin (pseudonyme) ; elle a ensuite appris que son ex-petit ami s’était passer pour elle sur les réseaux sociaux, diffusant des images sexuelles avec le message qu'elle cherchait des hommes avec qui coucher.

Le patron de Lee Ye-rin (pseudonyme) lui a offert une horloge. Quelque temps plus tard, en recherchant des informations sur ce modèle, elle a appris que c'était en fait une caméra espion. Depuis quelques semaines, des images filmées dans sa chambre étaient transmises à son insu au téléphone portable de son patron.

Oh Soo-jin (pseudonyme) était une étudiante à court d'argent lorsqu'elle a accepté de poser nue pour des photos, avec un contrat stipulant qu'aucune image ne serait partagée. Celles-ci ont été malgré tout publiées et vendues sur Internet.

Ces trois femmes sont les survivantes d'une vague croissante de violence sexiste en ligne que les gouvernements et les entreprises omettent de combattre efficacement. Yu-jin, Ye-rin et Soo-jin sont originaires de Corée du Sud, où Human Rights Watch a documenté la façon dont une combinaison de progrès technologiques rapides et de profondes inégalités entre les sexes accélèrent la propagation en ligne de la violence sexiste.

Mais Internet et la technologie sont mondiaux — tout comme la misogynie — et le problème de la violence sexiste en ligne est un problème mondial.  Les lignes téléphoniques d'assistance au Pakistan et au Royaume-Uni ont connu une forte augmentation des appels cette année. Des politiciens ont été visés par des fuites d'images sexuelles dans des pays comme la France, la Géorgie, l’Inde, et les États-Unis. La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence à l'égard des femmes a écrit en 2018 que la nécessité de protéger les droits des femmes « s'est maintenant étendue à l'espace numérique des médias sociaux…. De nouvelles formes de violence se sont également développées, comme la distribution non consensuelle de contenus intimes… obtenus avec ou sans consentement, dans le but de faire honte, de stigmatiser ou de nuire à la victime. »

Bien sûr, il n'y a rien de nouveau à propos de la violence sexiste ou du fait que les gouvernements ne la prennent pas au sérieux. Au fur et à mesure que la technologie et Internet se développaient dans tous les aspects de notre vie — en particulier pendant la pandémie de Covid-19 — nous aurions pu prévoir que cela créerait de nouvelles opportunités pour les auteurs de violences, la plupart ciblées contre les femmes.

Les gouvernements, comme on pouvait s'y attendre, ont été lents à réagir. Le gouvernement sud-coréen, et quelques autres, dont l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Australie, la Belgique, le Brésil, le Canada, le Japon, le Pakistan, et le Royaume-Uni— ont pris différentes mesures pour tenter de réduire la violence sexiste en ligne. Mais des lacunes majeures subsistent dans la plupart des pays, laissant un grand nombre de survivantes sans défense.

Les dirigeants gouvernementaux, et notamment les responsables de l'application de la loi — dont la plupart sont des hommes — semblent souvent méconnaître fondamentalement la gravité de la violence sexiste en ligne, perçue comme un problème mineur qui se produit « seulement » en ligne. Mais cette vision ne tient pas compte des manières dont la violence sexiste en ligne est souvent liée à d'autres formes de violence. Elle perpétue aussi la notion d'une dichotomie en ligne / hors ligne qui n'est plus pertinente dans un monde où nos téléphones portables nous accompagnent à tout moment, et où nos transactions ainsi que nos communications se produisent de plus en plus en ligne.

Les auteurs de violence sexiste en ligne en Corée du Sud évitent généralement les peines de prison. Une survivante nous a affirmé qu'elle était tellement frustrée par le refus de la police d'enregistrer sa plainte qu'elle a demandé à un policier : « Voulez-vous agir seulement si je subis des dommages physiques ou matériels ? » « Oui », a-t-il répondu.

L'impact de la violence sexiste en ligne est dévastateur, et parfois mortel. Si une image est apparue en ligne une fois, toute personne qui l'a vue aurait pu la capturer, et toute personne qui l'a capturée peut la republier à tout moment, pour le reste de la vie de la personne survivante.

Les survivantes se retrouvent souvent à rechercher constamment en ligne de nouvelles attaques. Après que les hommes sont arrivés sur le lieu de travail de Yu-jin, elle a quitté son emploi, a fui son domicile et a été constamment à la recherche de nouvelles publications. « Pendant deux mois, je pense que c’est tout ce que j’ai fait toute la journée », a-t-elle confié. « Et pendant que je faisais cela, je voulais vraiment mourir — je voulais sauter devant une voiture ou un train. » Le père d'une femme qui s'est suicidée après avoir été secrètement filmée par un collègue a déclaré : « Elle s'inquiétait : ‘Et si quelqu'un l'avait vu ?’ Chaque fois qu'elle recevait un coup de fil. »

Tous les gouvernements devraient agir pour respecter les obligations juridiques internationales visant à promouvoir l'égalité des sexes et à protéger les personnes contre la violence, notamment grâce aux mesures suivantes :

  • Fournir des services à toutes les personnes en crise — notamment des conseils juridiques, un soutien psychosocial et une aide pour supprimer et bloquer ces contenus — et tenir les plateformes Internet responsables en ce qui est de s'assurer qu'elles n'hébergent pas, n'amplifient pas et ne profitent pas sciemment de contenu illégal.

  • Faire en sorte que le système judiciaire fonctionne pour les survivantes — en adoptant des lois qui reconnaissent la gravité de la violence sexiste en ligne et les différentes formes qu'elle prend, et donnent aux survivantes la possibilité de réclamer non seulement des poursuites judiciaires mais aussi des dommages-intérêts. S’assurer que la police et les procureurs comprennent le préjudice profond impliqué et les obliger à rendre des comptes lorsqu'ils maltraitent ou rejettent des survivantes.

  • Plus important encore, les gouvernements doivent changer les attitudes sociales qui normalisent la violence sexiste en ligne, voire la célèbrent. Un détective travaillant sur la violence sexiste en ligne nous a confié : « Un agresseur m'a dit qu'il avait le sentiment qu'en faisant cela, il était reconnu comme un vrai homme. » Une survivante a déclaré qu'elle pensait que certains hommes préféraient les images non consensuelles à la pornographie produite par des professionnels « parce qu'ils pensent que c'est plus naturel… ils ne voient tout simplement pas les femmes comme des êtres humains. »

Les entreprises ont également l'obligation de fournir une aide. Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, approuvés par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en 2011, stipulent que « La responsabilité de respecter les droits de l'homme exige que les entreprises… [é]vitent de causer ou de contribuer à des incidences négatives sur les droits de l'homme » et « [c]herchent à prévenir ou atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme qui sont directement liées à leurs activités, produits ou services. »

Remettre en question l'inégalité entre les sexes enracinée qui persiste dans presque tous les pays et qui alimente la violence sexiste en ligne nécessite plus que des services ou des arrestations ; cela exige un changement culturel profond à travers des mesures telles que l'éducation sexuelle exhaustive pour tous les enfants, couvrant le consentement, l'équité entre les sexes et une citoyenneté numérique responsable. Cela nécessite également un changement culturel important au sein des entreprises technologiques, où les produits sont trop souvent conçus par des hommes qui ne prennent pas en compte la manière dont ils peuvent être utilisés pour perpétrer des violences basées sur le genre.

Le rôle croissant d'Internet dans nos vies a mis en évidence l'urgence de mettre fin aux attitudes abusives à l'égard des femmes, et la longueur du chemin qu’il reste à parcourir dans cette lutte.

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