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Tunisie : Attaque contre le directeur d’une organisation LGBT

Des membres de la police sont soupçonnés et une enquête est nécessaire

Badr Baabou, directeur de Damj, l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité, photographié peu après son agression par des membres présumés des forces de police à Tunis, le 21 octobre 2021.   © 2021 Badr Baabou

(Beyrouth, le 28 octobre 2021) – Deux membres des forces de police ont apparemment attaqué avec une grande violence le directeur d’une organisation de défense des droits des personnes LGBT basée à Tunis, le 21 octobre 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Cette attaque, perpétrée contre Badr Baabou, s’est produite dans le contexte d’une persécution accrue des activistes de la cause LGBT par les forces de sécurité tunisiennes.

Baabou, directeur de l’Association tunisienne pour la justice et l’égalité (Damj), a affirmé à Human Rights Watch que deux hommes l’avaient attaqué par surprise dans le centre de Tunis, le 21 octobre à 9h00 du soir, alors qu’il retournait à son domicile. L’un d’eux était vêtu d’un gilet des Forces de sécurité intérieure et l’autre portait des bottines de la police.

« L’agression commise contre Badr Baabou constitue une tentative dangereuse de le réduire au silence, ainsi que les autres activistes des droits LGBT », a déclaré Rasha Younes, chercheuse auprès du programme Droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) à Human Rights Watch. « Les autorités tunisiennes devraient répondre d’urgence à la plainte déposée par Baabou, enquêter sur cet incident et faire rendre des comptes aux agresseurs. »

Les assaillants ont pris à Baabou son portefeuille, ses papiers d’identité, son téléphone mobile et son ordinateur portable de travail, qui contient des informations confidentielles sur les bénéficiaires de son organisation. Damj et Baabou ont déposé de nombreuses plaintes contre la police au nom de personnes LGBT qui ont été agressées par des membres des forces de sécurité depuis la fondation de l’organisation en 2005.

« Après m’avoir projeté au sol et volé mes équipements, les policiers m’ont roué de coups de poing et de pied », a déclaré Baabou lors d’un entretien téléphonique. « L’un d’eux a placé sa botte sur mon cou, pour que je cesse de crier. Je ne pouvais plus respirer. » Il a ajouté que lorsque des passants ont tenté d’intervenir, l’un des deux hommes a dit : « Nous sommes la police. Voici la punition réservée à ceux qui insultent la police et portent plainte contre nous. »

Lors des manifestations de rue contre les privations économiques et la paralysie politique qui ont commencé en Tunisie en janvier 2021, les forces de sécurité tunisiennes ont à plusieurs reprises pris pour cible des activistes LGBT pour leur infliger des mauvais traitements, notamment des arrestations arbitraires, des agressions physiques, des menaces de viol et de meurtre, et leur refuser l’accès à une assistance juridique. Des personnes s’identifiant sur les réseaux sociaux comme appartenant à la police ont « exposé » des activistes LGBT et divulgué leurs informations personnelles, y compris leurs adresses et leurs numéros de téléphone, et les ont menacés de violences.

Ses agresseurs ont appelé Baabou par son nom, l’ont injurié et ont insulté ses activités de défense des droits des LGBT, et l’ont menacé de mort, a-t-il affirmé. Le 25 octobre, Baabou a porté plainte auprès du bureau du procureur de la république au tribunal de grande instance de Tunis, contre le directeur général de la Sécurité nationale, directeur de la Région de Tunis, et contre les deux agents présumés.

Le compte-rendu de l’examen médical de Baabou, que Human Rights Watch a pu consulter, affirme qu’il a subi un traumatisme cranien et des blessures au cou, à la cage thoracique, aux yeux et au visage, résultant de multiples coups de poing et de pied. Son médecin a indiqué qu’il avait besoin d’être suivi pendant 15 jours, en raison de la gravité de ses blessures. Le compte-rendu indique également qu’il présentait de multiples hématomes, notamment une ecchymose de 2 à 4 centimètres résultant d’un coup violent à la tête et au front près d’un œil, ainsi qu’un traumatisme à la cage thoracique.

Human Rights Watch a documenté des agressions, des arrestations et des intrusions aux domiciles et aux bureaux d’activistes LGBT tunisiens par les forces de sécurité chaque année depuis 2018, y compris des raids au domicile de Baabou et dans les bureaux de Damj.

Les abus commis lors de manifestations ont reflété une intensification de la répression des organisations LGBT ces dernières années en Tunisie. Des membres de l’Association Damj ont déclaré à Human Rights Watch qu’à plusieurs reprises depuis 2018, des intrus s’étaient introduits par effraction dans leurs résidences et dans les bureaux de Damj en leur absence et avaient manipulé des dossiers et du matériel. La police, qu’ils soupçonnent d’avoir commis ces intrusions, avait menacé et questionné des membres du personnel sur les activités de l’organisation.

Baabou a déclaré que des individus non identifiés avaient cambriolé sa maison à Nahj el-Bacha, à Tunis, à quatre reprises depuis 2018, y volant des appareils électroniques, notamment ses ordinateurs portables personnels et professionnels. Il a ajouté que ses voisins lui avaient dit, en mars 2020, que des policiers surveillaient son appartement et avaient questionné son propriétaire et certains de ses voisins sur son travail et sur ses allées et venues. Selon Baabou, la police a dit aux voisins : « Cette fois, c’est une fouille légère, la prochaine fois, on mettra le feu. » « Je dois continuer à passer d’un endroit à un autre parce que je ne me sens en sécurité nulle part », a-t-il dit.

En décembre 2020, la police a arrêté deux militants LGBT lors d’une manifestation pacifique devant le parlement tunisien. Les deux hommes ont été gardés à vue pendant deux jours avant d’être remis en liberté conditionnelle, dans l’attente d’une enquête. Le procureur les a inculpés de « dégâts à la propriété », délit passible de trois ans de prison au maximum, après qu’ils eurent « porté des coups au pare-brise d’une voiture » pour tenter d’arrêter un parlementaire qui avait précipité son véhicule dans une foule de manifestants pacifiques, ont-ils déclaré. Leur procès est toujours en cours.

En août 2020, des policiers assurant la garde de l’ambassade de France à Tunis ont agressé physiquement et verbalement des militants transgenres et incité des passants à les attaquer.

Le ciblage par la police des activistes LGBT viole leurs doits fondamentaux, y compris leurs droits à la vie privée, à l’intégrité corporelle, à la libre circulation, à la liberté d’expression, de réunion et d’association, ainsi que leur droit à la non-discrimination et à la protection en vertu de la loi.

Les droits au respect de la vie privée et à la non-discrimination sont inscrits dans la Constitution tunisienne de 2014, dans ses articles 24 et 21. La criminalisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe, aux termes de l’article 230 du code pénal, place les personnes LGBT en Tunisie en situation de vulnérabilité particulière aux discriminations, a déclaré Human Rights Watch. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples appelle explicitement les États membres, dont la Tunisie, à protéger les minorités sexuelles et de genre, conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

« Les militants et activistes LGBT ne se sentent pas en sûreté dans les rues de Tunisie », a affirmé Rasha Younes. « Il incombe aux autorités tunisiennes d’enquêter sur l’agression perpétrée contre Badr Baabou et d’assurer la sécurité des activistes qui effectuent un travail important dans un climat d’intimidation et de violence. »

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