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Sahel : Visite de la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme au Burkina Faso et au Niger

Les gouvernements devraient protéger les civils et enquêter sur les abus commis par toutes les parties

© 2021 John Emerson/Human Rights Watch

(Bamako) – Les gouvernements des pays du Sahel devraient adopter des mesures afin de mieux protéger les populations civiles, s’assurer que les opérations antiterroristes respectent les droits humains et enquêter de manière exhaustive sur les abus commis par toutes les parties, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, qui visite le Burkina Faso et le Niger du 28 novembre au 4 décembre 2021, devrait y évoquer les préoccupations suscitées par les violations des droits commises par toutes les parties.

Au cours de l’année 2021, des groupes islamistes armés ont tué plus de 800 civils dans des attaques au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Ces dernières années dans ces pays, les forces de sécurité gouvernementales et des milices pro-gouvernementales ont tué illégalement des centaines de personnes soupçonnées de terrorisme et de civils, favorisant ainsi le recrutement au sein de ces groupes. Les violences commises par toutes les parties ont causé le déplacement de plus de deux millions de personnes.

« Les groupes islamistes armés et les forces de sécurité gouvernementales dans les pays du Sahel ont tué et grièvement blessé un nombre sidérant de personnes, y compris parmi celles qui étaient sous leur garde », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour le Sahel à Human Rights Watch. « Michelle Bachelet devrait profiter de sa visite pour sonner l’alarme sur l’ampleur des atrocités et sur la nécessité cruciale de mieux protéger les civils et de faire rendre des comptes aux auteurs d’abus dans tous les camps. »

Pendant toute l’année 2021, Human Rights Watch a documenté la hausse dramatique des attaques menées par les groupes islamistes armés alliés à Al-Qaïda ou à l’État islamique (EI) au Burkina Faso et au Niger. Ces combattants ont tué des hommes et des garçons à leur domicile, lors de cérémonies de baptême, de mariages et de funérailles ; après les avoir fait descendre de force de moyens de transport publics ; et alors qu’ils cultivaient leur terre ou abreuvaient leurs animaux.

Ces groupes ont également incendié des villages, des marchés et des écoles ; ils ont enlevé des hommes et les ont forcés à se joindre à eux ; attaqué des centres médicaux ; enlevé et violé des femmes ; et imposé leur version de la Charia (loi islamique) dans des tribunaux qui n’adhéraient pas aux normes internationales des procès équitables.

Les cibles de ces meurtres étaient dans une large mesure des membres de communautés ethniques qui avaient formé des groupes d’auto-défense civils, essentiellement en réaction à l’incapacité des forces de sécurité locales à protéger les villageois et leurs biens.

Parmi les massacres commis par des islamistes armés et documentés par Human Rights Watch au Niger, dans les régions de Tillabéri et Tahoua, situées près de la frontière du Mali, figurent des attaques menées le 2 janvier contre les localités de Tchomabangou et Zaroumdareye, dans lesquelles 102 personnes ont été tuées; une attaque perpétrée le 15 mars contre des commerçants revenant du marché de Banibangou dans laquelle 66 personnes ont été tuées; et le massacre, le 21 mars, d’au moins 170 membres de l’ethnie Touareg près de Tillia.

Au Burkina Faso, les groupes islamistes armés ont tué au moins 137 civils lors d’une attaque perpétrée le 5 juin contre le village de Solhan ; 59 civils dans une embuscade tendue le 18 août à un convoi de négociants près d’Arbinda ; et plus de 30 civils dans la province nordiste d’Oudalan, dont 15 lors d’un baptême en mai.

Le nombre de meurtres illégaux commis en 2021 par les forces de sécurité de l’État au Niger et au Burkina Faso semble avoir diminué par rapport à 2019 et 2020. Toutefois, Human Rights Watch enquête actuellement sur plusieurs allégations d’exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité burkinabè depuis début novembre, notamment les meurtres présumés de 15 hommes des alentours du village de Djigoué, dans la région Sud-Ouest, et de trois hommes du village de Poikoro, dans la région des Cascades.

Il n’y a eu aucun établissement de responsabilités pour plus de 150 meurtres et disparitions forcées présumées de personnes lors d’opérations antiterroristes menées par les forces nigériennes en 2019 et 2020, la plupart dans la région de Tillabéri, et sur la mort de 500 suspects présumés tués par les forces de sécurité burkinabé dans et aux alentours des villes d’Arbinda, Djibo, Tanwalbougou et ailleurs.

De même, les autorités maliennes n'ont pas rendu justice pour de nombreuses exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées commises lors d'opérations antiterroristes, y compris pour de tels actes présumés en 2021.

L'absence d’enquêtes envoie un signal selon lequel les forces de sécurité sont au-dessus de la loi et sape la confiance envers les gouvernements, notamment parmi la communauté ethnique Peuhl, ou Fulani. Ses membres ont été ciblés pour être recrutés par les islamistes armés et constituent une grande majorité des victimes des forces pro-gouvernementales.

Des civils de toutes les communautés ont décrit de manière cohérente à Human Rights Watch l’échec des forces de sécurité burkinabé et nigériennes dans les tentatives de protéger leurs villages et leurs biens. Ils se sont plaints amèrement de la lenteur, voire de l’absence, de réponse de la part de ces forces, notamment de leur inaction après avoir reçu de précieux renseignements de la part des habitants, ou de leur attitude consistant à ne pas poursuivre des combattants islamistes après une attaque.

Des chefs de villages et de communautés dans tout le Sahel – Burkina Faso, Niger et Mali – ont invoqué ces manquements pour justifier la formation dans des villages de groupes ethniques d’auto-défense, qui se sont eux-mêmes rendus responsables de nombreuses atrocités. Human Rights Watch a documenté depuis 2015 des abus commis par ces milices ethniques d’auto-défense, en particulier au Mali, y compris des massacres dans lesquels des centaines de civils ont été tués.

Michelle Bachelet devrait exprimer publiquement, lors de sa visite, l’inquiétude causée par le risque que les gouvernements sous-traitent les tâches sécuritaires à ces milices ethniques d’auto-défense qui n’ont pas reçu de formation adéquate, a déclaré Human Rights Watch.

« Il n’est pas nécessaire de regarder plus loin qu’au Mali voisin pour comprendre les graves risques que représente le recours à des forces d’auto-défense villageoises non formées et responsables devant personne pour régler les problèmes de sécurité », a affirmé Corinne Dufka. « Non seulement ces milices ont tué des civils et détruit des villages, mais elles ont en même temps accentué les tensions intercommunautaires et favorisé le recrutement au sein des groupes islamistes armés. »

Michelle Bachelet devrait insister auprès des autorités burkinabé et nigériennes pour qu’elles renforcent la présence de forces de sécurité dans les zones particulièrement vulnérables aux attaques d’islamistes armés commettant des abus; renforcent les réseaux d’alerte; réduisent le temps de réponse des militaires dans les villages menacés; et identifient et répondent aux besoins urgents de protection en créant des comités composés d’habitants, de membres des forces de sécurité et d’organisations de la société civile.

Bachelet devrait également insister auprès des gouvernements pour qu’ils s’assurent que toutes les unités opérationnelles comptent des prévôts, officiers responsables du maintien de la discipline lors des opérations des forces de sécurité. Les gouvernements devraient assurer un financement adéquat des branches du système judiciaire qui ont la responsabilité d’enquêter et de faire rendre des comptes aux personnels militaires coupables de graves abus, et ils devraient redoubler d’efforts pour enquêter sur toutes les allégations d’abus.

« La crise du Sahel a été ponctuée d’atrocités commises par toutes les parties et se caractérise par une impunité quasi-totale et par d’indicibles souffrances humaines », a conclu Corinne Dufka. « La visite de Michelle Bachelet offre une occasion de braquer l’attention de la communauté internationale sur cette crise et de presser les gouvernements concernés, leurs partenaires et les groupes armés de cesser de faire la guerre aux civils et de grandement améliorer leur respect de la vie humaine. »

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