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UE : Adoption d’une résolution préjudiciable sur la « prostitution »

La plupart des députés européens ont toutefois rejeté un projet de criminalisation à l’échelle de l’UE, ou se sont abstenus sur ce point

Lors d'un rassemblement tenu à Madrid le 8 mars 2023, à l'occasion de la Journée internationale des femmes, des travailleuses du sexe espagnoles masquées manifestaient contre le projet de fermeture de lieux les employant. © 2023 Juan Medina/Reuters

(Bruxelles) – Le Parlement européen a adopté une résolution contre la  « prostitution » le 14 septembre 2023, mais en a supprimé certaines des parties les plus préjudiciables, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le Parlement a adopté un rapport non contraignant, intitulé Réglementation de la prostitution dans l’Union européenne : implications transfrontières et incidence sur l’égalité entre les hommes et les femmes et les droits des femmes, tout en rejetant les appels à une approche à l’échelle européenne basée sur le « modèle nordique/égalitaire ».

Le modèle nordique criminalise l'achat de services sexuels, et sa mise en œuvre a entraîné une augmentation du nombre de meurtres, abus de la police, exclusion des services sociaux, et violences sexuelles pour les travailleuses du sexe dans les pays européens qui l’ont adopté. Dans le cadre d'une décision procédurale de dernière minute positive, le Parlement européen a supprimé du texte final les parties les plus préjudiciables basées sur le modèle nordique. En « divisant » ou en « séparant » les votes, certains passages d'une motion peuvent être votés séparément et retirés du texte final du rapport. Les travailleuses du sexe et leurs alliés ont fortement préconisé la suppression de cette disposition.

« Demander que l'achat de services sexuels soit considéré comme une infraction pénale met en danger la santé et la sécurité des femmes, y compris de migrantes, et des personnes queers », a déclaré Erin Kilbride, chercheuse auprès du programme des droits LGBT de Human Rights Watch. « Le fait que la majorité des parlementaires n’ont pas voté en faveur de cette résolution dangereuse indique qu’ils reconnaissent ce que les données montrent clairement : la criminalisation conduit à la violence contre les personnes qu’elle est censée protéger. »

Une coalition de défenseur-e-s des droits des travailleuses du sexe et leurs alliés, dont Human Rights Watch, a exhorté les députés européens à rejeter la résolution à l'approche du vote, qualifiant le rapport de « biaisé et préjudiciable aux personnes qui vendent du sexe et à d’autres groupes vulnérables ». Le journal sur la santé The Lancet a également exhorté les députés à rejeter la proposition « malavisée ». Bien qu'elle ait été adoptée, la majorité des membres l'ont rejetée ou se sont abstenus, avec 234 votes pour, 175 contre et 122 abstentions. Cela témoigne d’une meilleure compréhension des impacts dangereux de la criminalisation sur les travailleuses du sexe et sur leurs droits, selon Human Rights Watch.

Plusieurs agences des Nations Unies s'opposent à la criminalisation du commerce du sexe, notamment le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA, l'Organisation mondiale de la santé, le Fonds des Nations Unies pour la population et le Programme des Nations Unies pour le développement. Des organisations de la société civile, notamment Human Rights Watch, Amnesty International, et la International Planned Parenthood Federation sont également opposées à la criminalisation de ce type de travail.

De nombreuses preuves démontrent que la criminalisation de l’achat de services sexuels porte atteinte aux droits des travailleuses du sexe. En France, l’introduction en 2016 de la criminalisation des clients leur a fait craindre d’être arrêtés, ce qui a forcé les travailleuses du sexe à se tourner vers des endroits plus dangereux pour travailler dans la rue. Dix travailleuses du sexe ont été tuées en France sur une période de six mois en 2019.

Une étude commandée par le ministère de la Justice d’Irlande du Nord n’a constaté « aucune preuve » que le modèle nordique ait diminué la demande de services sexuels après son introduction en 2015, tandis qu'en République d'Irlande, un rapport financé par le ministère de la Justice a révélé que 20 % des travailleuses du sexe interrogées ont été exploitées sexuellement par la police et que la criminalisation a « radicalement marginalisé » une population à risque.

En avril, Human Rights Watch a écrit au Congrès des députés espagnol, exhortant ses membres à rejeter un projet de loi similaire autorisant la criminalisation et le harcèlement des travailleuses du sexe, utilisant une définition trop large du proxénétisme. L'Espagne n'a pas encore donné suite à ce projet de loi.

La nouvelle résolution du Parlement européen contient toujours des déclarations préjudiciables et trompeuses sur le travail du sexe, selon Human Rights Watch. Elle appelle à plusieurs reprises à punir les clients, notamment en érigeant en infraction pénale dans tous les pays de l'UE le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir un acte sexuel de la part d'une personne en échange d'une rémunération, malgré de nombreuses preuves des effets violents et discriminatoires de ces lois. Elle comprend également des affirmations douteuses selon lesquelles la traite à des fins d’exploitation sexuelle est en augmentation dans l’ensemble de l’UE et que « les pays qui suivent des approches telles que le modèle nordique/égalitaire ne constituent plus de grands marchés pour la traite des êtres humains à cette fin. » Les derniers ensembles de données disponibles de la Commission européenne et d’Eurostat, respectivement, réfutent ces deux affirmations.

« Le vote démontre que malgré l'offensive des attaques contre les droits des travailleuses du sexe et d'autres groupes marginalisés, l'Europe est de plus en plus favorable à des solutions respectueuses des droits face à la violence contre nos communautés », a déclaré Sabrina Sanchez, directrice de European Sex Workers’ Rights Alliance. « Les résultats montrent que nous ne sommes pas une minorité et que nombreuses sont les personnes qui, dans toute l’UE, estiment que les travailleuses du sexe méritent leurs droits humains. »

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