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Le droit de retour au Haut-Karabakh devrait être garanti

Suite à l’exode massif et traumatisant d’Arméniens de souche, les négociations avec l'Azerbaïdjan devraient porter en priorité sur les droits humains

Un convoi de voitures d'Arméniens de souche fuyant le Haut-Karabakh, 26 septembre 2023.  © 2023 AP Photo/Vasily Krestyaninov

(Berlin, le 5 octobre 2023) – Les gouvernements impliqués dans la facilitation des pourparlers entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie devraient obtenir des engagements concrets de la part du président de l’Azerbaïdjan sur le respect, la protection et la mise en œuvre du droit au retour des Arméniens de souche du Haut-Karabakh, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Plus de 100 000 Arméniens de souche, soit la quasi-totalité de la population actuelle de la région, ont fui ces derniers jours.

Le plan de l’Azerbaïdjan pour la réintégration de la région et de ses habitants devrait définir comment, à court et à long terme, il respectera les droits humains, en particulier ceux des minorités ethniques ; et il devrait accueillir une mission indépendante chargée d’un suivi international soutenu de ces engagements.

Les partenaires de l’Azerbaïdjan devraient insister sur l’envoi d’une mission d’observation internationale chargée de rendre compte publiquement des conditions dans lesquelles vivent les Arméniens de souche restés au Haut-Karabakh et d’identifier les violations des droits humains, en particulier celles qui porteraient atteinte au droit des Arméniens de souche au retour dans leurs foyers. Les gouvernements partenaires devraient également exhorter les autorités azerbaïdjanaises à prendre des mesures substantielles pour faciliter le droit au retour, que ce soit pour des visites à court terme ou à plus long terme.

« Les partenaires de l’Azerbaïdjan doivent adresser un message sans ambiguïté aux dirigeants du pays : s’agissant du droit au retour, ils n’accepteront pas les discours creux et les demi-mesures », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « La peur et le manque de confiance de toutes les parties rendent une présence internationale soutenue essentielle pour que le droit au retour soit significatif et non théorique. »

Human Rights Watch a mené des entretiens, à la frontière arménienne, avec 14 individus et 7 familles qui ont fui le Haut-Karabakh, ainsi qu’avec 12 travailleurs humanitaires, des travailleurs de la santé, des responsables arméniens et un représentant des anciennes autorités de facto du Haut-Karabakh. 

Le président du Conseil européen, Charles Michel, a facilité une série d'entretiens entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan. Une rencontre entre les deux dirigeants était prévue en marge du sommet de la Communauté politique européenne (CPE) à Grenade le 5 octobre 2023, avec la participation de Charles Michel, du président français Emmanuel Macron et du chancelier allemand Olaf Scholz. Le 4 octobre, des médias azerbaïdjanais ont annoncé qu’Aliyev avait refusé de participer aux négociations à la dernière minute, après les remarques de la ministre française des Affaires étrangères lors de sa visite en Arménie le 3 octobre, entre autres raisons.

Lors d’éventuelles négociations futures, les dirigeants européens devraient souligner la nécessité d’un engagement en faveur d’une surveillance internationale des droits humains, et d’une vision globale respectueuse des droits humains pour la région, susceptible d’encourager les personnes à rentrer chez elles. Le 3 octobre, lors d’une interview, Charles Michel a exhorté l’Azerbaïdjan à « faire preuve de bonne volonté en s'engageant, dans le respect du droit international, à protéger les droits et la sécurité de l'ensemble de la population qui vit en Azerbaïdjan, y compris la population arménienne. »

Le ministre allemand des Affaires étrangères a indiqué publiquement qu’il est, « avec ses partenaires internationaux », « attaché à une mission internationale » au Haut-Karabakh, ajoutant que les habitants de la région « doivent pouvoir être sûrs qu'ils ne sont pas seuls. »

Plus de 100 000 personnes ont fui le Haut-Karabakh vers l’Arménie depuis le 24 septembre, laissant la région temporairement dépeuplée. Parmi ceux qui restent se trouvent des personnes  âgées  et des personnes très malades, qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas fuir. L’exode massif a suivi les attaques militaires azerbaïdjanaises du 19 septembre pour reprendre le contrôle total du Haut-Karabakh. Le lendemain, un cessez-le-feu a été annoncé, suivi de premiers pourparlers entre les autorités azerbaïdjanaises et les représentants de la communauté arménienne du Haut-Karabakh. Les autorités de facto de l’enclave ont alors accepté de se dissoudre.

Le Haut-Karabakh est une région de l'Azerbaïdjan dont la population à majorité arménienne, aux côtés des forces de la République d'Arménie, a mené une guerre pour se séparer de l'Azerbaïdjan au début des années 1990. Pendant cette période, plus de 700 000 Azéris de souche ont été expulsés ou déplacés d'Arménie, du Haut-Karabakh et de 7 districts environnants. Entre 300 000 et 500 000 Arméniens de souche ont fui ou ont été expulsés d'Azerbaïdjan à partir de 1988.

Le Haut-Karabakh est resté de facto séparé de l'Azerbaïdjan et a occupé les sept districts environnants jusqu'en 2020, date à laquelle l'Azerbaïdjan a lancé les hostilités et repris la majeure partie de la région. Une trêve mettant fin à la guerre de 44 jours prévoyait que les troupes russes de maintien de la paix soient présentes au Haut-Karabakh et contrôlent ce qui était alors le corridor de Latchine, la seule route reliant le Haut-Karabakh à l'Arménie, jusqu'en 2025.  

L’Azerbaïdjan a bloqué le corridor de Latchine du 12 décembre 2022 jusqu’au 24 septembre 2023, entraînant une interruption presque totale de la circulation des biens et des personnes. Cela a causé de graves pénuries de nourriture, de médicaments, de produits d’hygiène, d’essence et d’autres fournitures essentielles au Haut-Karabakh. L'Azerbaïdjan a également finalement coupé les lignes électriques entre l'Arménie et le Haut-Karabakh.

Lorsque la route de Latchine a rouvert le 24 septembre, les gens ont commencé à fuir. Les personnes interrogées ont déclaré avoir fui leur domicile, effrayées et paniquées. Beaucoup ont également déclaré que le blocus de facto de neuf mois et les atrocités présumées commises par les forces azerbaïdjanaises pendant la guerre de 2020, notamment les meurtres et la torture de civils, ont suscité une peur et une méfiance généralisées.

Les personnes interrogées ont décrit une épreuve qui a duré plusieurs jours sur la route encombrée de Latchine, avec peu ou pas de nourriture ou d'eau, coincées dans leurs voitures, camions et autres véhicules avec leurs familles et les quelques affaires qu'elles avaient pu rapidement emporter.

« Nous ne pouvions même pas emporter d'objets à part des documents et des vêtements de rechange, pas de place dans la voiture », a indiqué une femme du village de Kert.

Une femme qui voyageait avec neuf personnes entassées dans une voiture a déclaré : « Nous sommes allés à Khodjaly et avons passé quatre jours à la base des Casques bleus, à l'aéroport, assis sur l'asphalte, en attendant l'évacuation. »

Un responsable de Goris, en Arménie, a déclaré qu'un certain nombre de personnes, pour la plupart âgées, étaient mortes lors de l'exode massif, bien que Human Rights Watch n'ait pas été en mesure de vérifier cela de manière indépendante.

Les autorités azerbaïdjanaises ont à plusieurs reprises affirmé que les droits de chacun seraient protégés au Haut-Karabakh, mais de telles affirmations sont difficiles à accepter au pied de la lettre après des mois de graves difficultés et des décennies de conflit, d’impunité pour des crimes présumés, en particulier pendant les hostilités, et la détérioration générale du bilan du gouvernement azerbaïdjanais en matière de droits humains, a déclaré Human Rights Watch.

La plupart des personnes interrogées ont affirmé qu’elles envisageraient de retourner au Haut-Karabakh pour récupérer leurs biens si elles pouvaient le faire sous protection internationale. Un homme de Khankendi (Stepanakert) a indiqué qu'il envisagerait de revenir avec sa famille à plus long terme, « si l'Azerbaïdjan permet aux Arméniens d'y vivre en communauté – avec des écoles arméniennes, une église arménienne, un personnel administratif recruté parmi les membres de la communauté. »

Avec le retrait d'Aliyev des pourparlers de Grenade, l'UE, les États-Unis et les autres acteurs impliqués dans les négociations de médiation devraient redoubler d'efforts pour mettre l'accent sur les mesures spécifiques que l'Azerbaïdjan doit prendre pour faciliter le droit au retour, qu'il s'agisse de visites à court terme pour récupérer des biens restants, gérer leurs biens immobiliers, se rendre sur des tombes, etc., ou pour les personnes qui souhaitent y revenir définitivement, a déclaré Human Rights Watch.

Les personnes choisissant de ne pas rentrer définitivement devraient être indemnisées pour leurs biens et devraient pouvoir récupérer tous les autres biens laissés sur place ainsi qu'accéder à des comptes bancaires ou à des avantages, tels que des pensions. L’Azerbaïdjan devrait également veiller à ce que les biens des personnes évacuées soient protégés contre le pillage ou d’autres dommages.

Pour les personnes qui reviennent, l’Azerbaïdjan devrait garantir l’accès à l’éducation en langue arménienne et fournir des garanties concrètes protégeant la capacité de la population à exercer ses droits civils, politiques, religieux et culturels sans discrimination. Les Arméniens de souche qui ont fui devraient recevoir toutes les informations nécessaires et des directives claires sur la reprise de leur résidence au Haut-Karabakh et sur la manière dont leurs droits, notamment en matière de propriété et de sécurité sociale, seront garantis. Les arrangements futurs devraient prévoir un équilibre ethnique dans les structures de police et de gouvernance locale. Conformément au droit international humanitaire, l'Azerbaïdjan devrait s'abstenir de poursuivre en justice les personnes ayant participé à des hostilités militaires pendant les guerres des années 1990 et en 2020.

« Les dernières semaines ont été une période horrible pour la population arménienne du Haut-Karabakh », a conclu Hugh Williamson. « Les partenaires de l’Azerbaïdjan doivent désormais veiller à ce que les autorités azerbaïdjanaises ne transforment pas ce traumatisme et cette perte en injustice à long terme. »  

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