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Ariana, 11 ans, Agnessa, 22 ans, Melinda, 12 ans, et Amanda, 18 ans, à Tatev, en Arménie, au lendemain de leur long voyage depuis le Haut-Karabakh, le 29 septembre 2023. © 2023 Tanya Lokshina/Human Rights Watch

C'est un conflit tragique qui dure depuis des décennies. De nombreuses atrocités de masse ont été commises à l'encontre des civils, et leurs auteurs n'ont jamais été traduits en justice. Un blocus a privé la population de nourriture, de médicaments et de carburant pendant des mois. Une population entière, près de 120 000 personnes, a ensuite fui en quelques jours pour sauver sa vie.

Le fait que cet horrible exode massif – qui a touché les Arméniens du Haut-Karabakh il y a quelques semaines – ait reçu si peu d'attention de la part des médias internationaux et des diplomates en dit long sur l'état lamentable du monde à l'heure actuelle. Ce n'est pas que le monde ne se préoccupe pas de la situation, c'est qu'il y a trop de choses dont il faut se préoccuper, dans trop d'endroits à la fois.

Les crises urgentes liées à des conflits occupent généralement le devant de la scène, comme la situation en Israël/Palestine et l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Cependant, même des conflits et des crises humanitaires majeurs ne sont souvent pas pris en compte. Il suffit de penser aux atrocités commises au Soudan, au Myanmar ou dans la région du Tigré, en Éthiopie. Ce n'est pas seulement le Haut-Karabakh qui risque d'être oublié dans ce contexte de multi-crise mondiale.

Pourtant, les histoires individuelles de souffrance ne sont pas moins importantes d'une crise à l'autre. Ma collègue Tanya Lokshina a écrit un article passionnant sur l'une d'entre elles.

Agnessa Avanesyan est une jeune femme de 22 ans qui a fui dans la peur le Haut-Karabakh avec sa famille à la fin du mois de septembre, lorsque l'Azerbaïdjan a repris le contrôle de la région. Ils vivent actuellement dans le sud de l'Arménie avec des proches, tous entassés pour l’instant dans une petite maison rurale – sans abri, sans ressources et encore désorientés après un voyage laborieux de trois jours.

Agnessa décrit comment elle et sa jeune sœur Amanda, qui vivaient toutes deux à Stepanakert (Khankendi en azéri), la plus grande ville du Haut-Karabakh, ont été effrayées lorsque les forces azerbaïdjanaises ont attaqué, que la ville a été privée d'électricité et que les téléphones ont cessé de fonctionner. Elles ont passé la nuit dans l'abri du sous-sol d'un hôpital, tremblant au son des explosions, affamées et transis de froid.

Tôt le lendemain, elles se sont mises en route vers le village de leur famille, à quelque 24 kilomètres de là – à pied, et en faisant du stop sur une partie du trajet.

« Nous ne pensions pas y arriver », raconte Agnessa. « Les bombardements étaient si proches... »

Après que les forces azerbaïdjanaises ont ouvert le « corridor de Lachin » – la route reliant le Haut-Karabakh à l'Arménie – les villageois ont commencé à partir. Le chef de l'administration locale de facto a prévenu que les soldats azerbaïdjanais arriveraient à tout moment, et personne ne voulait prendre le risque de rester.

La famille d'Agnessa n'ayant pas de voiture, ils se sont séparés et entassés dans trois véhicules différents conduits par des voisins. Il n'y avait pas de place pour les affaires personnelles des deux sœurs.

La voiture manquait d'essence. A cause du blocus du Haut-Karabakh par l'Azerbaïdjan, l'essence était rare. Elles en ont trouvé dans un réservoir sur l'autoroute, mais d’autres personnes le prenaient déjà d'assaut. Une heure après l'arrivée d'Agnessa, tout a explosé. On rapporte 220 personnes tuées. Son oncle, qui se trouvait à proximité, a été grièvement blessé.

Les routes étaient encombrées de gens qui fuyaient. Un tronçon qui, en temps normal, prend moins de 90 minutes à parcourir, leur a pris 42 heures.

« Nous avons tremblé toute la nuit à cause du froid, car la voiture n'avançait que d'un demi-mètre à l'heure. Un vieil homme est mort dans un camion près de nous. Il était trop malade, trop fragile... De nombreuses voitures sont tombées en panne sur la route... »

Elle n'avait aucune idée de l'endroit où se trouvaient les voitures du reste de sa famille.

« Mais c'est la peur qui a été la plus forte », raconte Agnessa. « En voyant tous ces soldats azerbaïdjanais sur la route... Nous ne pensions qu'à nous enfuir. »

À quel point les choses vont-elles mal dans le monde en ce moment ? Tellement mal qu'il peut y avoir des dizaines de milliers d'Agnessa, et que presque personne dans le monde n'a entendu parler de leurs souffrances. Que 120 000 personnes puissent fuir pour sauver leur vie, et que cela ne fasse même pas partie des gros titres à l’échelle mondiale.

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