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A woman looks out onto the street with her daughter inside a center for internally displace people in Abiy Adi, Tigray, Ethiopia, August 14, 2023. 

Le rôle de Human Rights Watch dans les conflits et les crises

Comment HRW documente les abus en temps de guerre, milite pour la protection des civils et promeut la justice

Une jeune femme éthiopienne et sa fille photographiées dans une école utilisée pour abriter des personnes déplacées à Abiy Adi, dans la région du Tigré en Éthiopie, le 14 août 2023.   © 2023 Edgar Gutiérrez/Sipa via AP Photo

Les conflits armés dominent l’actualité, qu’il s’agisse des hostilités en Israël et en Palestine, de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie ou des soldats et des milices qui commettent des atrocités au Soudan. Depuis près de quarante ans, les chercheurs de Human Rights Watch (HRW) enquêtent sur les conflits armés internationaux et les guerres civiles, en rendant compte des violations des droits humains et des lois de la guerre, et en s’efforçant de protéger les civils qui sont pris entre deux feux. Mais comment cela se passe-t-il exactement ?

Nous nous sommes entretenus avec Tirana Hassan, Directrice exécutive de Human Rights Watch, pour savoir comment l’organisation, qui défend les droits humains depuis 1978, opère en période de conflit armé et comment des équipes spécialisées dans la recherche, la communication et le plaidoyer travaillent pour obliger les dirigeants mondiaux à protéger les civils et à faire pression pour obtenir justice.

Que fait Human Rights Watch lorsqu’un conflit éclate ?

Nous cherchons à protéger les civils pendant les combats en faisant pression sur les parties belligérantes pour qu’elles respectent le droit international humanitaire, également connu sous le nom de lois de la guerre, qui sont les règles qui guident et encadrent la guerre. Le travail de Human Rights Watch n’est pas de dire si la guerre doit être menée ou non, mais de s’assurer que les belligérants respectent la loi.

Un habitant du quartier de Khezaa de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, assis entre deux jeunes garçons, réchauffait de la nourriture parmi les décombres de son appartement détruit par une frappe israélienne, le 25 novembre 2023. © 2023 Mohamad Zaanoun/ Middle East Images/AFP via Getty Images

Le rôle des organisations humanitaires en période de conflit est clair : elles veillent à ce que les civils aient accès à de la nourriture, à de l’eau et à des abris, et aident les personnes en danger à être protégées. Quel est notre rôle à nous ?

Nous travaillons sur les conflits armés depuis des décennies, qu’il s’agisse des guerres civiles dans les Amériques au début des années 1980 ou des hostilités actuelles en Israël et en Palestine. Nous alertons la communauté internationale sur les conflits armés potentiels et les risques que les violations des lois de la guerre font peser sur les civils.

Nos chercheurs documentent le comportement des parties aux conflits et les lois qu’elles ont violées au cours des combats. Nous analysons ces preuves et les transmettons aux parties belligérantes, en utilisant nos conclusions pour les inciter – ou convaincre les gouvernements du monde entier de les inciter – à modifier leur comportement et à protéger les civils pris entre deux feux, comme il est de leur devoir légal d’y veiller. Nous menons également des campagnes pour que les responsables rendent des comptes devant les tribunaux, au niveau national ou international, comme la Cour pénale internationale, lorsque les violations constituent des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des génocides.

Votre réponse m’amène à une autre question : le travail de Human Rights Watch peut-il prévenir les conflits avant qu’ils ne commencent ?

Notre travail peut contribuer à prévenir les conflits armés en braquant les projecteurs sur les violations des droits humains qui sont à l’origine de tant de conflits dans le monde : lorsque les forces de sécurité maltraitent les populations qu’elles sont censées protéger, lorsque les gouvernements répriment des groupes ethniques, nationaux ou religieux, lorsque des médias libres ou Internet sont fermés et que des journalistes sont tués, permettant à la désinformation de prospérer, lorsque des armes affluent dans des endroits dépourvus de gouvernance. Nos recherches sur les violations de ce type et nos actions de plaidoyer pour amener les gouvernements à changer de cap et à respecter les droits peuvent contribuer à endiguer les tensions qui débouchent souvent sur des conflits armés.

Sur quel type de violations du droit de la guerre enquête Human Rights Watch ?

Le droit de la guerre que nous utilisons aujourd’hui pour protéger les civils – connu sous le nom de Conventions de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels – a été créé en réponse aux atrocités et à l’inhumanité qui ont caractérisé la Seconde Guerre mondiale. Ces lois ont été adoptées par tous les pays et régissent la manière dont une guerre est menée afin de limiter autant que possible les souffrances des civils.

Un policier israélien et une femme marchaient devant un mur ou étaient collées des photos d’otages enlevés le 7 octobre 2023 et détenus à Gaza, dans une rue de Tel Aviv, le 17 décembre 2023. © 2023 Menahem Kahana/AFP via Getty Images

Les parties belligérantes – y compris les forces armées nationales et les groupes armés non étatiques – n’ont pas carte blanche pour faire ce qu’elles veulent. Elles doivent respecter le droit international humanitaire ainsi que le droit international des droits humains, qui reste en vigueur.

Le droit international humanitaire stipule que les parties belligérantes sont tenues de faire la distinction entre civils et combattants lorsqu’elles mènent des attaques. Les détenus sont également protégés contre les mauvais traitements et la torture. Les lois garantissent que les civils ont accès à la nourriture, à l’eau et à un endroit sûr pour vivre. Le droit international humanitaire protège également les institutions et les services civils essentiels, notamment les hôpitaux, le personnel médical, les marchés, les écoles et les travailleurs humanitaires qui apportent une aide vitale. La prise d’otages est une violation, tout comme le recrutement d’enfants pour le combat. Les lieux de culte, tels que les mosquées et les églises, et les sites culturels et historiques majeurs sont également protégés.

Par exemple, lorsque les forces talibanes ont détenu puis exécuté sommairement des membres des forces de sécurité de l’ancien gouvernement afghan, cela a constitué une grave violation des lois de la guerre.

À Human Rights Watch, nos chercheurs ont différents domaines d’expertise. Quand un conflit éclate, qui fait quoi ?

Nous déployons des équipes multidisciplinaires parce que les conflits affectent les gens de différentes manières. Nous disposons d’équipes d’experts nationaux qui travaillent sur ces situations depuis très longtemps. Par exemple, lors de la couverture du conflit au Soudan, notre chercheur sur le Soudan a aidé à rassembler des preuves sur le terrain et a mené nos efforts pour pousser les gouvernements à faire davantage pour mettre fin aux abus et protéger les civils. Pour le conflit en Ukraine, nos chercheurs spécialisés sur l’Ukraine mais aussi sur la Russie sont essentiels. L’écrasante majorité des abus sont commis par les forces russes en Ukraine, mais certains ont aussi lieu en Russie.

Human Rights Watch a aussi une division « Crises et conflits », dont les chercheurs sont formés et expérimentés pour travailler dans des zones de conflit et des situations de crise, et ont acquis une expérience en la matière. Cette année, ces chercheurs ont documenté des abus au Soudan, en Ukraine, en Haïti et en Israël/Palestine.

Les conflits armés affectent aussi différemment différents groupes de personnes. Dans la région du Tigré, en Éthiopie, nous avons montré comment les forces militaires éthiopiennes et érythréennes, ainsi que les milices locales, ont utilisé la violence sexuelle, notamment le viol, principalement à l’encontre des femmes et des filles. Notre division des droits des personnes handicapées a montré que les civils handicapés et les personnes âgées de Gaza ne pouvaient pas fuir les bombardements du gouvernement israélien et qu’ils rencontraient des difficultés pour accéder aux produits de première nécessité et à l’aide dans le cadre du blocus israélien. Nos experts en santé et en droits humains peuvent parler des effets sur la santé des sièges et des blocus, qui constituent des violations du droit international s’ils sont utilisés pour priver les civils d’eau et de nourriture. Nous savons que les enfants sont touchés de manière disproportionnée par les conflits, et nos collègues spécialisés dans les droits de l’enfant ont montré comment les écoles ont souvent été utilisées par les parties belligérantes comme bases militaires ou dépôts d’armes. Nos travaux ont contribué à faire évacuer les soldats des écoles de Thaïlande, de Somalie, du Yémen, de la République centrafricaine, de l’Inde et de la République démocratique du Congo.

Un instituteur enseignait un cours dans une école gravement endommagée par une frappe aérienne lors des combats entre les forces gouvernementales (soutenues par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite) et les forces houthies, à Taizz, au Yémen, le 3 septembre 2019. © 2019 Ahmad al-Basha/AFP/Getty Images

De plus en plus souvent, dans les conflits, nos chercheurs ne peuvent pas s’approcher des lieux où se déroulent les exactions parce qu’ils ne sont pas en sécurité ou qu’on leur interdit d’entrer dans le pays. Grâce à notre laboratoire d’enquêtes numériques, nous sommes en mesure d’utiliser la technologie pour corroborer et renforcer nos recherches sur le terrain, ainsi que les témoignages oculaires qui nous ont été communiqués par téléphone, ou au moyen d’une application de messagerie. Ces chercheurs parcourent Internet à la recherche de preuves provenant de sources ouvertes, telles que les photos et les vidéos publiées par des internautes sur les réseaux sociaux. Ils effectuent également des analyses numériques pour confirmer la véracité de ce qu’ils trouvent, et ils triangulent les photos ou les vidéos qui montrent des abus avec des images satellites et des analyses géospatiales pour en confirmer l’exactitude.

Nous avons utilisé des images satellite au Myanmar en 2017 pour aider à révéler l’incendie qui a ravagé 700 bâtiments dans un village de l’ethnie Rohingya dans l’État de Rakhine. Les images montrent de grandes zones brûlées et une couverture arborée détruite qui correspondent à une destruction à grande échelle, et corroborent les récits des réfugiés qui ont décrit les meurtres et les incendies criminels perpétrés par les soldats et la police birmans, ainsi que par des groupes de l’ethnie Rakhine.

Notre division « Armes » est spécialisée dans l’analyse des armes de toutes provenances et dans le contrôle du respect des traités. Entre autres activités, elle mène des enquêtes sur le terrain, effectue des recherches dans des livres et collabore avec des sources techniques et des équipes de recherche pour identifier le type d’armes utilisées en analysant les restes, les cratères d’impact et d’autres informations que les munitions laissent derrière elles après avoir été utilisées. La division vérifie et documente également les cas où des armes controversées sont utilisées, notamment des armes incendiaires comme le phosphore blanc, qui provoque de graves brûlures thermiques sur les personnes touchées. Nous rendons compte des nouvelles utilisations d’armes à sous-munitions et de mines terrestres antipersonnel, interdites au niveau international en raison de leur caractère intrinsèquement indiscriminé à l’égard de la population civile.

Des femmes éthiopiennes faisaient la queue pour puiser de l'eau dans un réservoir situé près d’un complexe de bâtiments abandonnés, hébergeant des personnes déplacées, dans la banlieue de Dubti, ville située dans la région Afar dans le nord de l'Éthiopie, le 7 juin 2022. © 2022 Eduardo Soteras/AFP/Getty Images

Par ailleurs, la division plaide pour un renforcement du droit international afin de mieux protéger les civils contre les moyens ou méthodes de guerre problématiques dans les futurs conflits armés. Enfin, nos représentants font campagne pour mettre un terme aux transferts d’armes vers des forces ou des groupes armés susceptibles de les utiliser en violation des lois de la guerre.

Quels types de recherches ont récemment été menées par Human Rights Watch ?

Nous avons documenté les attaques illégales menées par les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens à Gaza et en Israël. Les forces israéliennes ont apparemment frappé illégalement des hôpitaux et des installations médicales à Gaza et mis des civils en danger en utilisant du phosphore blanc dans des zones peuplées. Elles ont également utilisé de manière massive des armes explosives dans des zones densément peuplées. Ces frappes ont provoqué des destructions et des pertes en vies humaines à grande échelle. Au Liban, les forces israéliennes ont tué un certain nombre de civils lors d’attaques illégales qui s’apparentent à des crimes de guerre. Nous avons aussi documenté le fait que des groupes armés palestiniens ont délibérément tué des civils, capturé des otages et tiré des roquettes de manière indiscriminée sur des zones civiles israéliennes, ce qui constitue des crimes de guerre.

Le gouvernement israélien a également coupé l’accès aux services de base, comme l’eau et l’électricité, de la population civile de Gaza en guise de punition collective, bloqué l’aide et la nourriture à l’exception d’une infime quantité délivrée au compte-goutte, et utilisé la famine comme une arme de guerre. Ces actes constituent des crimes de guerre.

Nous utilisons nos recherches pour réclamer davantage de justice. Human Rights Watch a été la première organisation de défense des droits humains à publier des recherches approfondies sur la question des transferts forcés et des déportations d’Ukrainiens. En mars 2023, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine et sa commissaire aux Droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, pour des crimes de guerre présumés impliquant la déportation et le transfert illégaux présumés d’enfants ukrainiens des zones occupées de l’Ukraine vers la Russie.

Deux policiers ukrainiens contemplaient un gigantesque tas de morceaux de roquettes russes, rassemblés suite à de nombreuses frappes contre Kharkiv, en Ukraine, le 3 décembre 2022. © 2022 Libkos/AP Photo

Comment faire connaître nos recherches aux interlocuteurs clés ?

Une partie de notre stratégie passe par les médias et la communication stratégique. Nous partageons nos recherches, qui sont uniques, avec les journalistes qui couvrent notre travail dans les médias. Nous tirons parti de nouveaux moyens de communication, parfois au niveau local, pour transmettre l’information non seulement aux détenteurs du pouvoir, mais aussi aux communautés concernées. Nos rapports s’appuient sur des enquêtes détaillées qui sont plus importantes que jamais dans un monde où la désinformation est omniprésente. Lorsque le monde oublie certains conflits armés, nous nous efforçons de les maintenir dans l’actualité et à l’ordre du jour des décideurs politiques.

Nous plaidons auprès des personnes qui sont en mesure d’apporter les changements que nous souhaitons. Par exemple, si nous documentons l’utilisation d’armes à sous-munitions par un groupe armé, nous irons voir les parties belligérantes pour leur dire que ces armes sont illégales au regard du droit international. Si nous pouvons identifier qui a fabriqué et vendu ces armes, nous irons voir ces pays, nous leur montrerons nos preuves et nous leur dirons qu’ils sont peut-être complices de crimes de guerre.

Nous nous sommes également efforcés d’identifier les dirigeants – comme les commandants en chef des forces armées – qui sont responsables des abus commis. Nous pouvons alors travailler avec les gouvernements pour mettre en œuvre des sanctions ciblées ou des interdictions de voyager. Par exemple, nous faisons actuellement pression sur l’Union européenne pour qu’elle décide de sanctions à l’encontre des responsables de graves violations commises dans le cadre du conflit armé au Soudan.

Il nous appartient de demander des comptes aux gouvernements et à leurs dirigeants lorsqu’ils violent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international humanitaire et des droits humains, quelle que soit leur puissance. Lorsqu’une coalition militaire comprenant les États-Unis et le Royaume-Uni a envahi l’Irak en 2003, nous avons documenté leurs violations du droit de la guerre, notamment les frappes aériennes indiscriminées qui ont tué des civils et les tortures infligées aux détenus. Nous avons également rendu compte des violations commises par l’Irak. Bien des années plus tard, ce travail n’est pas terminé. Redresser les torts relève plus souvent d’un marathon que d’un sprint.

Cela peut prendre du temps. La documentation de Human Rights Watch sur les abus commis dans l’ex-Yougoslavie dans les années 1990 a contribué à la création de tribunaux pour les crimes de guerre et à la poursuite de dirigeants pour crimes de guerre. Ces procès ont débuté dans les années 2000 et se poursuivent en 2023.

Comment et où travaillent les chargés de plaidoyer de Human Rights Watch ?

Nos chargés de plaidoyer s’appuient sur nos recherches et dialoguent avec les personnes qui occupent des postes de pouvoir pour influencer la réponse politique à apporter aux combats sur le terrain. Parfois, ils dialoguent avec les parties belligérantes elles-mêmes, et parfois ils encouragent le changement auprès de ceux qui financent et soutiennent les parties belligérantes. Leur objectif, au sens le plus général du terme, est de veiller à ce que les droits humains soient au centre de ces réponses politiques. 

Nous menons des actions de plaidoyer auprès des institutions multilatérales au niveau mondial et régional, qu’il s’agisse des Nations Unies, de l’Union africaine ou de l’Union européenne, ou d’autres organismes locaux et régionaux qui ont des responsabilités en matière de protection des civils.

Nous avons des chercheurs dans une centaine de pays, et nos représentants et nos chercheurs peuvent intervenir auprès des gouvernements dans chacun de ces pays.

Nous avons d’autres personnes chargées de nos activités de plaidoyer dans le monde entier, notamment à Tokyo, Londres, Washington et Johannesburg, ainsi qu’en Australie, au Brésil et dans toute l’Europe.

Des membres des Forces d'action spéciales (Fuerzas de Acciones Especiales, FAES) du Venezuela à bord d’un pickup menaient une opération sécuritaire dans un quartier de Caracas, le 1er avril 2019. © 2019 Yuri Cortez/AFP via Getty Images

Voici un exemple de ce à quoi ressemble notre action de plaidoyer. À partir de 2014, nous avons œuvré pour dénoncer la violente répression de la dissidence par le gouvernement vénézuélien de Nicolás Maduro, qui a engendré une situation d’urgence humanitaire de plus en plus grave et l’exode de millions de personnes. Nous avons fait part de nos recherches au Conseil de sécurité des Nations Unies et avons fait pression pour que l’ONU réagisse, et cette pression a finalement permis d’augmenter l’aide apportée aux populations. Nos recherches ont été citées par l’administration Biden pour donner un statut de protection temporaire aux Vénézuéliens vivant aux États-Unis, et par l’agence brésilienne pour les réfugiés qui a accordé un statut légal à des milliers de Vénézuéliens.

En résumé, nos recherches, nos communications et nos actions de plaidoyer se complètent de manière incroyablement efficace, nous permettant de déployer l’information de manière à inciter les détenteurs du pouvoir à agir.

Avec qui travaille Human Rights Watch pendant les conflits ?

Nos équipes de plaidoyer et de recherche travaillent en étroite collaboration avec divers partenaires – qu’il s’agisse d’organisations de défense des droits humains ou d’autres organisations de la société civile, tels que des organisations humanitaires, des syndicats ou des groupes confessionnels.

Par exemple, après le déclenchement du conflit armé au Soudan en avril 2023, nous savions que nous avions besoin de davantage de moyens pour documenter et conserver les preuves des atrocités commises. Le plaidoyer constant de Human Rights Watch, combiné à la force des voix des Soudanais et des organisations partenaires régionales à travers l’Afrique, a contribué à amener le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à mettre en place une mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan.

Comment faire face aux défis, comme le fait que dans un certain nombre de conflits, l’une ou l’autre des parties – ou les deux – fait peu de cas de ces lois ?

Je sais qu’on peut être sceptique quant à l’utilité du droit international humanitaire et des droits humains lorsqu’un conflit fait rage. Dans certains conflits armés, les belligérants ne semblent pas faire preuve de retenue et bafouent manifestement ces lois sans en subir les conséquences.

Ismail Mohamed Issa, un homme soudanais de 65 ans ayant fui le conflit dans la région du Darfour, au Soudan, photographié avec un jeune garçon devant sa tente dans un camp de réfugiés mis en place dans la ville frontalière d’Adré, au Tchad, le 29 juillet 2023. © 2023 Zohra Bensemra/Reuters

C’est ce que nous avons constaté dans la Corne de l’Afrique depuis 2020. Les forces gouvernementales et les milices qui leur sont alliées dans la région du Tigré, en Éthiopie, ont utilisé le viol comme arme de guerre et détruit des infrastructures essentielles à la survie des civils. Elles ont également privé la région d’approvisionnement en nourriture, en électricité et en moyens de communication pendant près de deux ans. Cette année, la guerre a éclaté au Soudan voisin, malgré les avertissements répétés concernant l’escalade des abus commis par les forces de sécurité de ce pays. Huit mois plus tard, nous avons recueilli des informations sur les attaques à motivation ethnique perpétrées contre des civils au Darfour, sur la manière dont des armes explosives utilisées à plusieurs reprises dans les zones urbaines ont tué des civils et endommagé des infrastructures essentielles dans la capitale, Khartoum, ainsi que sur le blocage à grande échelle de l’aide humanitaire.

Dans ces deux pays, les auteurs de ces crimes n’ont eu à subir que peu de conséquences pour les actes qu’ils ont commis. En Éthiopie, après que les parties belligérantes ont signé un accord de cessation des hostilités, les enquêtes internationales sur les atrocités liées au conflit ont été abandonnées, les partenaires internationaux et régionaux de l’Éthiopie ayant cherché à normaliser leurs relations avec le gouvernement fédéral. Au Soudan, malgré des efforts pour enquêter, l’obligation de rendre compte pour les crimes commis n’est tout simplement pas une priorité dans les discussions politiques.

Cela ne veut pas dire que nous renonçons. Les lois de la guerre sont importantes, car elles fournissent un cadre pour rendre des jugements contre les combattants, qui ont du sens et permettent aux victimes et à leurs familles de bénéficier d’une certaine forme de justice.

Nous savons également que lorsque le droit de la guerre est appliqué, notamment dans le cadre de procès, il peut contribuer à prévenir les atrocités en brisant les cycles de violence et d’impunité. Nos recherches montrent que, trop souvent, lorsque la justice est mise de côté pour protéger les puissants, ces crimes se répètent, créant de nouvelles générations de victimes. Nous l’avons vu en Afghanistan, où les chefs de guerre se sont octroyé l’immunité, et où la Cour pénale internationale n’a pas enquêté sur les abus commis par les États-Unis dans le cadre de son examen des crimes de guerre présumés. Nous l’avons également constaté en République démocratique du Congo.

Pour mettre un terme à la récurrence des abus, il faut que la justice soit rendue. Et parfois, il faut attendre longtemps avant que la justice ne soit rendue dans une salle d’audience.

En Syrie, Human Rights Watch et de nombreuses autres organisations ont passé des années à documenter minutieusement les violations des droits humains et les crimes de guerre, tandis que les responsables semblaient s’en tirer à bon compte. Plus de dix ans après, nous constatons des progrès dans les poursuites pour les crimes qui ont été commis dans ce pays.

Trois femmes tenaient des photos de proches décédés en Syrie devant le siège du Tribunal régional supérieur de Coblence, en Allemagne, lors de la clôture du procès de deux ex-agents des services de renseignement syriens qui s’étaient réinstallés en Allemagne, le 13 janvier 2022. © 2022 Martin Meissner/AP Photo

Vous avez mentionné que nous faisions également campagne pour soutenir la justice, notamment devant des tribunaux tels que la Cour pénale internationale (CPI).

L’un de nos principaux objectifs est de faire en sorte que justice soit rendue et que les auteurs d’abus aient à répondre de leurs actes. Il s’agit notamment de faciliter les enquêtes et de faire pression sur les gouvernements pour qu’ils arrêtent les personnes recherchées pour crimes graves. Nous faisons également pression pour que les tribunaux chargés de juger les crimes de guerre soient efficaces et nous nous efforçons de garantir un soutien financier et politique en faveur des efforts de justice internationale. Notre soutien à ces campagnes en faveur de la justice se prolonge pendant de très nombreuses années. Nous commençons généralement par nous efforcer de porter nos rapports à l’attention de la communauté internationale et des autorités qui travaillent auprès des juridictions nationales, des tribunaux internationaux – notamment la Cour pénale internationale – et des tribunaux hybrides, c’est-à-dire des juridictions nationales avec des composantes internationales.

Human Rights Watch a également fait campagne pour que les autorités nationales mettent en place les lois et l’expertise nécessaires pour soutenir la « compétence universelle », en vertu de laquelle les autorités judiciaires nationales enquêtent et poursuivent les crimes graves commis dans d’autres pays, quelle que soit la nationalité des suspects ou de leurs victimes. Au cours de l’année 2020-2022, un procès s’est tenu devant un tribunal allemand sur la torture organisée par l’État en Syrie, a permis de conclure à la culpabilité d’un ancien agent du renseignement syrien pour crimes contre l’humanité. Un rapport de Human Rights Watch documentant la torture dans les centres de détention syriens a été cité en référence par le tribunal au cours du procès.

Une dernière réflexion ?

Si je pouvais, d’un coup de baguette magique, mettre fin aux conflits dans le monde et amener les gens à s’entendre, je le ferais. Mais la réalité est toute autre. À la place, voilà ce que nous faisons : nous documentons les crimes de guerre et autres abus. Nous veillons à ce que le monde sache ce qui se passe et nous faisons pression pour que les choses changent. Le système n’est pas parfait et le chemin vers la justice est parfois long. Mais Human Rights Watch fait ce travail depuis des décennies, et nous savons par expérience que la justice est possible, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu’elle advienne.

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