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Haïti : Une action urgente est requise face à l’anarchie croissante

Il faut lutter contre l’insécurité chronique et restaurer la gouvernance démocratique

Un homme marchait près de plusieurs voitures incendiées par des groupes criminels dans le quartier Delmas 28 de Port-au-Prince, en Haïti, le 6 mars 2024, suite à des échanges de tirs entre des gangs et des policiers et soldats. © 2024 Guerinault Louis/Anadolu via Getty Images

(Washington, 8 mars 2024) –Haïti est au bord d’un effondrement total ou d’une prise de contrôle de l’État par des groupes criminels violents qui cherchent à renverser le gouvernement, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui ; ces groupes ont attaqué des policiers et des institutions de l’État, y compris des prisons. Leurs actions ont provoqué une quasi-paralysie de l’activité économique, de l’acheminement d’aide humanitaire vitale et du fonctionnement de presque tous les transports, y compris au port principal et à l’aéroport international du pays.

« Alors qu’Haïti est confronté à un chaos et à une violence qui ne cessent de croître, il est plus urgent que jamais que ses partenaires régionaux et internationaux soutiennent les appels des Haïtiens en faveur d’une réponse internationale fondée sur les droits, qui aborde tous les aspects de la crise », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse auprès de la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Cela devrait inclure la mise en place d’une mission internationale de soutien qui respecte pleinement les droits humains et la formation d’un gouvernement de transition en mesure de travailler avec des partenaires pour restaurer des conditions minimales de sécurité, une gouvernance démocratique, l’accès aux biens de première nécessité et l’État de droit. »

En octobre 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé la création d’une Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) afin de fournir un soutien opérationnel et une formation à la Police nationale d’Haïti, mais cette mission n’a toujours pas été déployée dans ce pays.

Selon les Nations Unies, les groupes criminels qui contrôlent une grande partie du pays, notamment la quasi-totalité de la capitale, Port-au-Prince, ont tué plus de 1 100 personnes et en ont blessé près de 700 autres depuis le début de l’année 2024. Près de 13 000 personnes ont été tuées, blessées ou enlevées par des groupes criminels entre janvier 2022 et début mars 2024. Des milliers de femmes et d’enfants ont été victimes de violences sexuelles et plus de 362 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays. Les taux d’insécurité alimentaire en Haïti sont parmi les plus élevés au monde. De nombreux enfants ne sont pas scolarisés, et l’utilisation et le recrutement d’enfants par les groupes criminels continuent d’augmenter.

« Nous sommes livrés à nous-mêmes ; rien ne marche dans le pays », a déclaré par téléphone un mécanicien de 23 ans à Port-au-Prince à Human Rights Watch le 19 février. « Il n’y a pas d’État, la police a peur et n’a aucun moyen de nous défendre contre les gangs qui tirent, tuent, kidnappent, violent les femmes et nous prennent tout, chaque jour. »

Des manifestations ont éclaté dans tout le pays après que le Premier ministre Ariel Henry, qui a pris le pouvoir après l’assassinat du président, n’a pas organisé d’élections ni démissionné avant le 7 février 2024, alors que ces mesures étaient prévues dans l’accord conclu en décembre 2022 entre acteurs politiques et représentants de la société civile. De nombreux Haïtiens considèrent qu’Ariel Henry est à la tête d’un gouvernement illégitime et corrompu, qui aurait des liens avec des groupes criminels.

Plusieurs groupes haïtiens de la société civile et de défense des droits humains ont appelé les partenaires internationaux d’Haïti, en particulier les États-Unis, à cesser de soutenir le gouvernement d’Ariel Henry et ont exhorté d’autres gouvernements à appuyer la formation d’un gouvernement de transition dirigé par des technocrates qui ne font pas l’objet d’allégations de corruption ou de soutien à des groupes criminels responsables d’abus, et qui s’engageraient à ne pas participer à de futures élections. Les autorités de transition pourraient alors travailler à la création d’un environnement qui permettrait l’organisation d’élections libres, équitables et crédibles selon un calendrier clairement défini, ont déclaré plusieurs groupes de la société civile haïtienne.

Les pourparlers facilités par les dirigeants de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) pour sortir le pays de l’impasse politique sont au point mort depuis plus d’un an, Ariel Henry et d’autres acteurs clés n’étant pas parvenus à un consensus. Certains partis politiques ont proposé la formation d’un nouveau gouvernement qui donnerait un rôle à Guy Philippe, un ancien commandant de police devenu instigateur du coup d’État. Depuis que Guy Philippe est rentré en Haïti fin novembre 2023, après avoir purgé une peine de six ans dans une prison américaine pour blanchiment d’argent et trafic de stupéfiants, il a organisé des arrêts de travail et des manifestations de rue dans tout le pays et semble avoir obtenu le soutien des membres de la Brigade de sécurité des aires protégées, une force du gouvernement lourdement armée et chargée d’assurer la sécurité dans les aires écologiquement protégées d’Haïti.

Les groupes de la société civile ont fait part de leurs réticences quant à cette proposition car elles craignent qu’un tel gouvernement ne s’attaque pas aux problèmes de fond du pays. « Les individus, groupes et partis politiques impliqués dans des affaires criminelles [...] ne devraient pas faire partie du gouvernement de transition, dont les membres doivent être au-dessus de tout soupçon », a déclaré Vélina Élysée Charlier, membre de Noupapdòmi, un collectif haïtien qui lutte contre la corruption et l’impunité.

Ariel Henry n’est pas rentré en Haïti depuis qu’il s’est rendu au Kenya le 29 février, pour y finaliser les arrangements relatifs au déploiement de la mission internationale de soutien à la sécurité dirigée par ce pays. Le même jour, Jimmy Chérizier (également connu sous le nom de « Barbecue »), chef de la principale coalition criminelle d’Haïti, connue sous le nom de G9, a annoncé la reprise d’une initiative conjointe avec la coalition rivale G-Pèp appelée « Viv Ansanm » (« Vivre ensemble » en créole), dans le but déclaré de chasser Ariel Henry du pouvoir et de combattre la mission de soutien.

Depuis cette annonce, des membres de groupes criminels ont attaqué deux grandes prisons et libéré près de 4 700 personnes, forcé la fermeture de l’aéroport international et attaqué le principal port du pays, des bureaux de l’État et plusieurs commissariats, entraînant d’énormes pertes humaines et matérielles, comme l’a signalé le Réseau national haïtien de défense des droits humains. L’insécurité accrue a gravement perturbé le commerce, les transports et l’acheminement de l’aide humanitaire, et limité encore plus l’accès déjà restreint des Haïtiens aux biens et services de première nécessité. L’accès à l’eau et aux soins de santé est également menacé.

Dans ce contexte chaotique, Ariel Henry ne s’est pas exprimé publiquement sur les derniers événements dans le pays.

Ces derniers jours, le gouvernement américain semble avoir accru sa pression sur Ariel Henry et réitéré son engagement en faveur d’une transition. L’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies, Linda Thomas-Greenfield, a déclaré le 6 mars que le gouvernement américain avait demandé au Premier ministre Henry de « faire avancer un processus politique conduisant à la mise en place d’un conseil présidentiel de transition qui mènera à des élections », ajoutant « qu’il est urgent qu’il aille de l’avant dans cette voie et qu’il entame le processus de retour à la normale pour le peuple haïtien ». Un porte-parole du département d’État américain a déclaré que le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’était entretenu avec Ariel Henry le 7 mars, exprimant son soutien à la proposition de la CARICOM et des parties prenantes haïtiennes « d’accélérer la transition politique par la création d’un collège présidentiel indépendant et largement représentatif pour diriger le pays sur la voie d’un déploiement d’une mission multinationale de soutien à la sécurité et d’élections libres et équitables ».

Entretemps, des problèmes juridiques, financiers et opérationnels continuent de bloquer le déploiement de la mission de soutien, bien que le Kenya et Haïti aient signé un accord bilatéral le 1er mars. Les États-Unis, le Canada et la France ont promis leur soutien à cette mission. Le Bénin, le Tchad, le Bangladesh, la Barbade et les Bahamas se sont engagés à déployer des forces aux côtés des policiers kenyans.

Dans une déclaration faite le 6 mars, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a réitéré son appel « au déploiement urgent, sans plus attendre » de la mission. « La réalité est telle que, dans le contexte actuel, il n’y a pas d'alternative pour protéger la vie des gens », a déclaré le Haut-Commissaire. « Le temps nous est compté. »

Pour éviter de répéter les échecs des interventions passées en Haïti, les gouvernements devraient s’assurer que les pays contributeurs de troupes et les donateurs appliquent une politique de diligence raisonnable en matière de droits humains qui soit au moins aussi rigoureuse que celle que l’ONU met en œuvre dans le cadre de ses propres missions de maintien de la paix, a déclaré Human Rights Watch.

« Le pays est en train de s’effondrer », a déclaré à Human Rights Watch le 7 mars par téléphone un haut responsable de la police, qui a demandé à rester anonyme. « Il n’y a plus d’autorité de l’État ; les autorités, ce sont les criminels désormais... La police n’a pas assez de personnel, d’équipements ou de technologies pour protéger la population. C’est pourquoi nous avons besoin d’un soutien international, nous ne pouvons pas les combattre seuls ».

Rosy Auguste Ducéna, une militante haïtienne des droits humains au sein du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), a également souligné la nécessité d’une réponse internationale fondée sur les droits : « Ce qui se passe aujourd’hui était prévisible et aurait surtout pu être évité. Pour que la situation ne s’aggrave pas encore, la communauté internationale doit plus que jamais être à l’écoute du peuple haïtien. »

Les États-Unis, le Canada, la France et d’autres gouvernements devraient redoubler d’efforts pour accorder immédiatement les fonds nécessaires au fonctionnement d’une mission internationale de soutien qui intègre une diligence raisonnable en matière de droits humains pour son personnel, ainsi qu’un suivi en matière de droits humains. Ils devraient également s’engager plus efficacement auprès de la société civile haïtienne et d’autres acteurs clés afin de soutenir la mise en place d’un gouvernement de transition qui soit en mesure de travailler avec une mission internationale pour rétablir un niveau minimum de sécurité et éviter une nouvelle détérioration des conditions humanitaires.

« Les gouvernements attachés aux droits humains et à la démocratie devraient agir maintenant pour soutenir les efforts haïtiens visant à rétablir la sécurité et éviter une situation où le vide politique serait exploité par des acteurs criminels susceptibles de perpétuer les cycles de violence et d’abus », a conclu Nathalye Cotrino. « Toutes les parties prenantes devraient travailler avec la société civile haïtienne, en s’appuyant sur ses propositions pour restaurer l’État de droit, la sécurité et l’accès aux biens essentiels, en vue d’instaurer une véritable gouvernance démocratique tout en évitant les erreurs des interventions internationales abusives du passé. »

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