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Australie : Pékin met en danger la liberté d’enseignement

Les étudiant·e·s chinois·e·s et les enseignants sont victimes d’un harcèlement menant à l’autocensure sur les campus universitaires en Australie

(Sydney) – Les universités australiennes omettent de protéger la liberté académique des étudiants chinois et des universitaires qui critiquent le Parti communiste chinois, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui. Le gouvernement chinois et les étudiants soutenant le parti harcèlent et intimident régulièrement celles et ceux ayant exprimé leur soutien envers des mouvements pro-démocratie.

Illustration en couverture du rapport de Human Rights Watch, paru fin juin 2021, sur l’étroite surveillance par les autorités chinoises, d’étudiant·e·s chinois·e·s sur les campus d’universités en Australie. © 2021 Badiucao

Le rapport de 102 pages, intitulé « They Don’t Understand the Fear We Have’: How China’s Long Reach of Repression Undermines Academic Freedom at Australia’s Universities » (« ‘‘Ils ne comprennent pas la peur que nous ressentons” : La répression exercée par la Chine porte atteinte à la liberté académique des universités australiennes »), décrit la surveillance par le gouvernement chinois des étudiant·e·s prodémocratie en provenance du continent et de Hong Kong sur les campus universitaires en Australie. Ces étudiant·e·s, très conscient·e·s d’être l’objet d’une telle surveillance, ressentent souvent une certaine anxiété. Beaucoup modifient leurs comportements en conséquence et s’autocensurent pour éviter les menaces et le harcèlement de la part de leurs camarades de classe, et par crainte de faire l’objet d’un « signalement » aux autorités chinoises.

« Les administrateurs universitaires australiens manquent à leur devoir de diligence pour faire respecter les droits des étudiants chinois », a déclaré Sophie McNeill, chercheuse sur l’Australie à Human Rights Watch et autrice du rapport. « Les universités australiennes comptent sur les frais de scolarité versés par des étudiants étrangers, mais ferment les yeux sur les préoccupations des étudiants chinois quant au harcèlement et à la surveillance par le gouvernement chinois et ses partisans. Ces universités devraient dénoncer ces pratiques, et prendre des mesures concrètes pour soutenir la liberté académique de leurs étudiants et enseignants. »

Human Rights Watch s’est entretenu avec 24 étudiant·e·s « prodémocratie » originaires de Chine continentale et de Hong Kong, ainsi qu’avec 22 universitaires enseignant en Australie. Même avec la fermeture des frontières australiennes en raison de la pandémie de Covid-19, l’éducation internationale reste l’une des principales exportations du pays, car les universités proposent des cours en ligne et certains étudiants se trouvent toujours dans le pays.

Human Rights Watch a pu notamment vérifier trois cas d’étudiant·e·s dans lesquels la police en Chine s’est rendue au domicile de leurs familles, ou planifiait de le faire, pour discuter des activités de l’étudiant(e) concerné(e) en Australie. Les autorités chinoises ont menacé de prison un ressortissant chinois qui étudiait en Australie après qu’il a ouvert un compte Twitter, sur lequel il a publié des messages en faveur de la démocratie. Un autre étudiant, qui avait exprimé son soutien à la démocratie devant ses camarades de classe en Australie, s’est depuis vu confisquer son passeport par les autorités chinoises à son retour dans son pays.

Tous les étudiants prodémocratie interrogés ont exprimé leurs craintes que leurs activités en Australie ne conduisent les autorités chinoises à des représailles à l’encontre de leurs familles restées au pays ou que celles-ci soient soumises à des interrogatoires. Il s’agit selon eux d’une préoccupation constante au moment de décider quels propos tenir en classe, à quels cours ou événements assister, et même avec qui être amis.

La plupart ont déclaré s’être autocensurés pendant la durée de leurs études en Australie. « Je dois m’autocensurer », a reconnu un étudiant du continent. « C’est la réalité, je viens en Australie et ne suis toujours pas libre. Je ne parle jamais de politique ici. »

« La majorité des étudiant·e·s ayant subi du harcèlement ne l’ont pas signalé à leur université », a déclaré Sophie McNeill. « Ces personnes pensent que leurs universités se soucient davantage de cultiver des relations avec le gouvernement chinois et de ne pas s’aliéner les autres étudiant·e·s qui soutiennent le Parti communiste chinois. »

Plus de la moitié des professeurs interrogés, sélectionnés parce qu’ils sont originaires de Chine ou spécialisés dans les études chinoises, ont déclaré pratiquer régulièrement l’autocensure lorsqu’ils abordent ce pays. Moins souvent, les administrateurs universitaires ont censuré des personnels enseignants, notamment en leur demandant de ne pas discuter publiquement de la Chine, ou en leur déconseillant d’organiser des événements publics relatifs à ce pays, ou de parler aux médias de certains problèmes liés à la Chine.

Des étudiant·e·s pro-Pékin et des usagers de réseaux sociaux ont également soumis certains universitaires australiens au harcèlement, à l’intimidation et au doxing – la divulgation de leurs données personnelles sur Internet. Il s’agissait d’universitaires perçus comme étant critiques à l’égard du Parti communiste chinois, ou ayant discuté de questions « sensibles » telles que Taïwan, Tibet, Hong Kong ou Xinjiang. En 2020, des partisans pro-Pékin ont intimidé et harcelé un universitaire, divulguant également ses données personnelles, après que celui-ci a décrit Taïwan comme un pays et pris la défense d’un étudiant taïwanais. En conséquence, l’université australienne a temporairement supprimé son profil du site Web de l’université.

Ce comportement abusif n’est pas représentatif de la plupart des étudiants chinois en Australie, dont la majorité ne s’implique pas dans les conflits politiques et choisit d’exprimer ses opinions pacifiquement. Au contraire, il est le fait d’une minorité très motivée et qui sait se faire entendre.

Les étudiants et universitaires interrogés ont exprimé leurs inquiétudes constantes quant au fait que les étudiants chinois qui étudient en Australie peuvent vivre privés d’informations, car ils dépendent étroitement du réseau social chinois vigoureusement censuré WeChat. La désinformation et le manque de diversité d’opinions dans cet environnement placé sous contrôle sont des facteurs aggravants du harcèlement et de l’intimidation exercés contre celles et ceux qui veulent prendre la parole ou exprimer des points de vue différents.

Les étudiants et universitaires ont identifié des problèmes supplémentaires, notamment la nécessité d’enseigner aux étudiants bloqués en Chine pendant la pandémie, et en l’absence de sécurité numérique adéquate, la portée extraterritoriale de la loi draconienne sur la sécurité nationale à Hong Kong et le rôle d’organismes liés au gouvernement comme la Chinese Students and Scholars Association.

Le gouvernement chinois est de plus en plus actif dans ses attaques contre la liberté académique à travers le monde, a constaté Human Rights Watch. Le ministère australien de l’Éducation devrait publier chaque année un rapport documentant les incidents de harcèlement, d’intimidation, de censure et d’autocensure et les mesures prises par les universités pour contrer ces menaces.

Les universités et doyens australiens devraient également prendre la parole lorsque de tels incidents se produisent et s’engager publiquement à protéger la liberté académique et à s’assurer que les étudiants soient conscients que « signaler » les activités de leurs camarades ou du personnel aux ambassades constitue une grave violation du code de conduite des étudiants, susceptible d’être sanctionnée sur le plan disciplinaire. Le Groupe de travail universitaire sur les interférences étrangères devrait examiner en priorité les problèmes de harcèlement, d’intimidation, de censure et d’autocensure.

« Les enquêtes récentes sur la liberté d’expression et l’ingérence étrangère dans les universités australiennes n’ont pas suffisamment tenu compte de ces questions », a conclu Sophie McNeill. « Avec la reprise imminente des arrivées d’étudiants étrangers, les universités devraient revoir de toute urgence leurs politiques et adopter de nouvelles mesures pour protéger la liberté académique de ces étudiants et de leurs personnels enseignants. »

Sélection de témoignages

Tous les noms utilisés sont des pseudonymes, pour protéger l’identité des personnes interrogées.

« Zhang Xiuying », une étudiante chinoise qui a pris part à une manifestation prodémocratie à Hong Kong organisée en Australie :

« Vers 2 heures du matin, j’ai reçu un message d’un camarade de classe du continent. Son message disait : ‘‘Je te surveille’’. J’ai eu très peur. Je suis allée voir le psychologue de l’université parce que j’étais tellement stressée. Je l’ai bloqué [le camarade de classe] sur Facebook. J’étais dans un cours avec 98 % d’étudiants du continent. Ils disaient du mal de moi, que je manquais de loyauté vis-à-vis du pays. »

« Li Wei », un étudiant de Chine continentale, a ouvert un compte Twitter à son arrivée en Australie pour étudier :

« Je pensais être en sécurité ici. En mars 2020, le service de police local [en Chine] a contacté mes parents pour qu’ils se rendent au poste et adressé un avertissement officiel, et ils m’ont dit de ‘‘ fermer ma gueule’’ et que je paierai très cher si je décidais de rentrer chez moi. Ils ont dit que je devais clôturer mon compte Twitter, arrêter la diffusion de messages antigouvernementaux et qu’en cas de non-coopération, ils pourraient m’accuser d’un crime. J’ai supprimé mon compte Twitter. Parce que je m’inquiète pour mes parents. »

« Zhang Min », une étudiante de Chine continentale, a expliqué que l’autocensure à laquelle elle s’astreint l’empêchait d’étudier à tel point qu’elle a décidé de changer de cursus :

« Cela entrave définitivement vos études. Quand je suis arrivée, j’ai suivi un cours de communication, qui accordait beaucoup d’importance aux discussions en classe. Je n’avais pas l’impression de pouvoir parler librement de quoi que ce soit. C’est donc l’une des raisons pour lesquelles je suis passée à un enseignement plus technique. »

L’universitaire « N » a décrit ce qui est arrivé à un étudiant de Chine continentale après son exposé sur le Tibet dans le cadre du cours qu’il animait :

« L’une des étudiantes a abordé le sujet de l’auto-immolation au Tibet. Plus tard, elle est venue se confier pendant les heures de bureau. Elle a déclaré que les ‘‘supérieurs’’ de ses parents avaient été informés sur l’un de leurs lieux de travail de son exposé sur le Tibet. Il n’y a pour ses parents pas d’autre moyen d’avoir appris cela qu’un mécanisme de surveillance. J’aurais aimé savoir comment cela est arrivé, mais dans une classe de 80 ou 90 élèves, c’est peine perdue. »

L’universitaire « P » a déclaré qu’un responsable lui avait demandé de proposer une version « nettoyée » de son cours d’études chinoises :

« Quand tout notre enseignement a été mis en ligne, j’ai reçu un courriel de la direction informatique, disant qu’ils avaient mis en place un VPN [réseau privé virtuel] en Chine, il y avait une certaine inquiétude concernant les contenus. Un autre universitaire, qui enseignait également un autre module d’études chinoises, a proposé une version ‘‘nettoyée’’ de son cours aux étudiants de la République populaire de Chine. Est-ce quelque chose que je serais prêt à considérer pour mon propre cours ? J’ai répondu : ‘‘Non, je ne suis pas prêt à faire ça.’’ »

L’universitaire « T » a décrit l’impact de l’autocensure sur les étudiants et les discussions générales en classe :

« J’avais une étudiante de Taïwan. Elle est venue après [le cours], elle était tellement excitée par notre discussion sur Hong Kong. Elle me demandait : ‘‘Que pensez-vous qu’il se passera à Taïwan ?’’ Je lui ai dit : ‘‘Pourquoi n’avez-vous pas pris la parole en classe ? J’espérais vraiment que vous le feriez !’’ Et elle a répondu : ‘‘Je ne sais pas ce que me réserve l’avenir. Je vais peut-être devoir travailler en Chine. Je ne peux pas me permettre d’être dénoncée.’’ »

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