Skip to main content

Éthiopie

Événements de 2023

Une survivante de violences sexuelles âgée de 28 ans pose pour un portrait dans le centre de formation à la cuisine des Filles de la Charité (Daughters of Charity) à Mekele, dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, le 2 novembre 2023.

© 2023 Arlette Bashizi/Washington Post via Getty Images

La situation des droits humains est restée préoccupante en Éthiopie, où les forces de sécurité gouvernementales, des milices et des groupes armés non étatiques se sont rendus responsables d’abus systématiques, et où l’impunité est la norme.

En août, dans la région d’Amhara, les affrontements entre l’armée éthiopienne et les milices se sont intensifiés, faisant des centaines de morts et de blessés parmi la population civile, et provoquant la destruction d’infrastructures civiles et des déplacements forcés. En réponse, le gouvernement fédéral a décrété dans la région un état d’urgence généralisé, dont les dispositions ont en pratique été élargies à l’ensemble du pays.

Un accord de cessation des hostilités de novembre 2022 entre le gouvernement fédéral et les autorités tigréennes, deux des principales parties belligérantes au conflit dans le nord de l’Éthiopie, a mis fin aux combats au Tigré. Pourtant, de graves violations des droits des civils tigréens se sont poursuivies tout au long de l’année, notamment dans l’ouest, le nord-ouest et l’est de cette région.

En septembre, 2,9 millions de personnes étaient déplacées en Éthiopie en raison du conflit et plus de 141 000 réfugiés et demandeurs d’asile éthiopiens se trouvaient dans les pays voisins, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Des journalistes, des organisations de la société civile et des personnalités publiques ont été confrontés à un environnement de plus en plus hostile et restrictif.

En Éthiopie, les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) ont été victimes de harcèlement en ligne et d’agressions physiques. Le Bureau de l’administration de la paix et de la sécurité d’Addis-Abeba (Addis Ababa Peace and Security Administration Bureau) a déclaré qu’il prenait des mesures « contre les institutions où des actes homosexuels sont commis », notamment les hôtels et d’autres commerces, à la suite de dénonciations massives en ligne. Les relations consensuelles entre personnes de même sexe sont interdites et passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement.

Les efforts du gouvernement en faveur de l’obligation de rendre des comptes pour les abus passés et actuels, y compris les atrocités perpétrées pendant le conflit dans le nord de l’Éthiopie, ont été insuffisants et ont manqué de transparence et d’indépendance.

Conflit dans le nord de l’Éthiopie

Malgré l’accord de cessation des hostilités de novembre 2022, les violations des droits humains se sont poursuivies au Tigré.

Quelques mois après la trêve, les forces érythréennes présentes au Tigré ont perpétré des viols et des violences sexuelles, notamment en soumettant des femmes et des filles Tigréennes à de l’esclavage sexuel, des exécutions extrajudiciaires, des enlèvements, et ont pillé des biens civils dans les zones sous occupation. En mai, les forces érythréennes ont empêché une mission humanitaire d’entrer dans deux villages où des viols, des pillages et des destructions de biens ont continué d’être signalés. Le même mois, les forces érythréennes auraient entravé le travail du Mécanisme de surveillance, de vérification et de conformité de l’Union africaine (UA-MVCM), créé pour superviser la mise en œuvre de la trêve.

Dans la zone du Tigré occidental, les autorités locales, les forces régionales Amhara et les milices connues sous le nom de « Fano » ont poursuivi une campagne de nettoyage ethnique et ont expulsé de force les Tigréens en novembre 2022 et janvier 2023. Des détentions et des expulsions de Tigréens de la zone ont été signalées jusqu’en août.

En mars, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies et l’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development, USAID) ont suspendu l’aide alimentaire au Tigré après que des informations ont révélé que l’aide alimentaire était « détournée et vendue sur les marchés locaux ». Les agences ont étendu cette suspension à l’ensemble de l’Éthiopie en juin à l’issue d’une enquête, qui a révélé « un plan généralisé et coordonné » mis en place par des acteurs gouvernementaux fédéraux et régionaux pour détourner l’aide alimentaire.

Les rapports faisant état de décès provoqués par la faim ont augmenté en juin, la suspension ayant sévèrement restreint l’accès à la nourriture pour environ 20 millions de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire. Les personnes déplacées et les camps de réfugiés ont été particulièrement affectés. En octobre, le PAM et USAID ont rétabli l’aide pour les réfugiés, tout en maintenant la suspension de l’assistance aux autres populations en situation d’insécurité alimentaire.

Abus perpétrés par les forces de sécurité et attaques de groupes armés

En avril, la situation sécuritaire dans la région d’Amhara s’est détériorée à la suite de la décision du gouvernement fédéral d’intégrer les forces de police régionales au sein de l’armée fédérale. Le 9 avril, deux membres du personnel de Catholic Relief Services ont été tués.

En août et septembre, de violents combats ont été signalés dans et autour de villes et villages de la région d’Amhara, faisant des centaines de morts et de blessés, dont des enfants et des réfugiés, et causant des dégâts à des biens et des infrastructures civils telles que des hôpitaux. Le 29 août, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a établi qu’au moins 183 personnes avaient été tuées dans les combats depuis juillet. Les forces de sécurité gouvernementales ont également arrêté des personnes lors de recherches menées de porte à porte dans la région d’Amhara.

Le 5 août, le Parlement éthiopien a décrété un état d’urgence généralisé dans la région d’Amhara, avec la possibilité de l’étendre à n’importe quelle partie du pays si nécessaire. L’état d’urgence confère au gouvernement des pouvoirs étendus et lui permet de procéder à l’arrestation de suspects criminels en l’absence de décision de justice, d’imposer des couvre-feux, d’interdire les rassemblements publics et d’effectuer des perquisitions sans mandats.

En février, la réponse des forces de sécurité gouvernementales aux troubles suscités par une scission au sein de l’église orthodoxe éthiopienne de Tewohedo a conduit à des meurtres et des arrestations alors que des manifestants s’étaient  rassemblés à Shashemene, en Oromia.

En mai, le gouvernement a relancé sa campagne contre-insurrectionnelle contre l’Armée de libération oromo (Oromo Liberation Army, OLA) après l’échec de pourparlers de paix en avril. Des rapports ont fait état d’attaques contre la population de l’Oromia, notamment les communautés Oromo et Amhara,  jusqu’en août. En juin, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a déclaré que les combats avaient endommagé des infrastructures essentielles, notamment des centres de soins et des systèmes d’approvisionnement en eau.

En mars, les autorités de l’Oromia ont démoli des habitations et des commerces à Shegar, une zone nouvellement créée près de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, poussant ainsi à la rue de nombreux habitants. Les forces de sécurité auraient passé à tabac et tiré sur des personnes qui protestaient contre ces démolitions.

En septembre, des civils somaliens au camp de personnes déplacées de Qoloji, dans la région Somali d’Éthiopie, sont morts du fait d’affrontements impliquant les forces de sécurité des régions de l’Oromia et de Somali.

Libertés d’expression, des médias et d’association

L’espace civique a continué de s’éroder dans le pays, le gouvernement fédéral contrôlant étroitement l’environnement au sein duquel sont couvertes sur les questions essentielles.

Les autorités ont harcelé et placé en détention les voix dissidentes, contraignant des journalistes, des membres de l’opposition et des activistes de la société civile au silence ou à l’exil.

Le 5 janvier, la police éthiopienne a arrêté et fait disparaître de force pendant plusieurs heures quatre membres du Conseil éthiopien des droits humains (Ethiopian Human Rights Council, EHRCO). Il s’agit de trois membres du personnel chargés des droits humains, Daniel Tesfaye, Bezuayehu Wondimu, Bereket Daniel et leur chauffeur, Nahom Husen, qui enquêtaient sur des cas d’expulsions forcées à l’extérieur d’Addis-Abeba. Le 12 janvier, un tribunal d’Oromia a remis en liberté sous caution les quatre employés.

Depuis que l’état d’urgence a été décrété en août, des arrestations massives d’Amharas ont été signalées dans la région d’Amhara et à Addis-Abeba. Début août, la police fédérale a arrêté Christian Tadele, un membre du parlement de l’opposition et critique du parti au pouvoir et des actions gouvernementales dans la région d’Amhara, ainsi que Yohannes Buayelew, membre du conseil régional d’Amhara, et Kassa Teshager, membre du conseil municipal d’Addis-Abeba. Christian Tadele et Kassa Teshager ont d’abord été placés en détention au secret.

Entre le 3 et le 18 avril, les autorités éthiopiennes ont arrêté huit journalistes qui avaient couvert la détérioration de la situation dans la région d’Amhara. En août, les autorités ont arrêté trois autres journalistes à la suite de l’entrée en vigueur de l’état d’urgence. Début septembre, la Commission éthiopienne des droits humains a rendu visite aux détenus du camp militaire d’Awash Arba, dans la région d’Afar. Parmi les détenus figuraient des personnalités politiques comme Christian Tadele, Kassa Teshager, Sentayehu Chekol, et des journalistes tels qu’Abay Zewdu.

En septembre, la police de la région du Tigré a passé à tabac et arrêté des chefs et partisans de l’opposition qui appelaient à manifester contre les administrations intérimaires dirigées par le Front populaire de libération du Tigré (Tigray People’s Liberation Front, TPLF), après le refus des autorités d’autoriser les rassemblements.

Le gouvernement fédéral a restreint à plusieurs reprises l’accès à Internet et aux réseaux sociaux. Au Tigré, après des années de coupure prolongée d’Internet dans la région, l’accès au téléphone et à Internet a repris lentement.

Au début du mois de février, les autorités ont restreint l’accès aux réseaux sociaux après l’éclatement de manifestations dans la région d’Oromia à la suite de tensions au sein de l’Église orthodoxe éthiopienne. Les autorités ont perturbé l’accès mobile à Internet à au moins deux reprises, alors que les combats s’intensifiaient dans la région d’Amhara.

Droits à une procédure régulière et à un procès équitable

Les autorités fédérales et régionales éthiopiennes ont exercé un contrôle sur certaines procédures judiciaires, les autorités chargées des enquêtes faisant régulièrement appel ou ignorant les décisions de justice rendues dans des affaires impliquant des détracteurs du gouvernement ou des figures de l’opposition.

La détention arbitraire par les autorités éthiopiennes de sept personnalités du Front de libération oromo depuis 2020 s’est poursuivie, malgré plusieurs ordonnances judiciaires exigeant leur libération.

Migrants, réfugiés et demandeurs d’asile

Des informations ont commencé à circuler en juin selon lesquelles les forces de sécurité éthiopiennes ont regroupé et détenu de manière arbitraire des réfugiés, des migrants et des demandeurs d’asile érythréens à Addis-Abeba et dans d’autres régions du pays. Les autorités éthiopiennes ont cessé d’enregistrer les demandeurs d'asile érythréens nouvellement arrivés dès mars 2020.

Un groupe d’experts indépendants de l’ONU a condamné l’expulsion sommaire par l’Éthiopie de centaines d’Érythréens fin juin, exhortant les autorités à mettre fin aux nouvelles arrestations et expulsions arbitraires de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants.

Les réfugiés érythréens au camp d’Alemwach, dans la région d’Amhara, ont également été attaqués par des hommes armés non identifiés après l’éclatement des combats dans la région d’Amhara.

La suspension des opérations d’aide alimentaire de l’ONU et de l’USAID a sévèrement restreint l’accès à la nourriture pour un grand nombre des plus de 900 000 réfugiés et demandeurs d’asile accueillis par l’Éthiopie à la mi-2023, notamment les réfugiés soudanais arrivés depuis le début du conflit au Soudan en avril.

Obligation de rendre des comptes et justice

Il n’y a pas eu de réel établissement des responsabilités pour les graves abus passés et présents, y compris ceux commis pendant le conflit dans le nord de l’Éthiopie.

À la suite de l’accord de cessation des hostilités de novembre 2022, le gouvernement éthiopien s’est engagé à mettre en œuvre un cadre politique national en matière de justice transitionnelle pour garantir l’obligation de rendre des comptes, la vérité, la réconciliation et la guérison. En janvier 2023, le gouvernement éthiopien a publié un projet de « Politiques optionnelles pour la justice transitionnelle » (Livre vert), comme point de départ des consultations publiques. Le gouvernement a commencé à solliciter des contributions publiques en février, y compris dans la région d’Amhara et dans certaines parties de la région d’Oromia encore touchées par les combats. En septembre, le deuxième rapport de la Commission internationale d’experts des droits humains sur l’Éthiopie (International Commission of Human Rights Experts on Ethiopia, ICHREE), mandatée par l’ONU, a révélé que le gouvernement « n’a pas réussi à enquêter efficacement sur les violations » et a « lancé un processus de justice transitionnelle dysfonctionnel ».

Des groupes d’opposition, des organisations de la société civile, des experts éthiopiens des droits humains et des participants à ces consultations ont critiqué le projet de politique optionnelles, soulignant l’accent mis sur le principe de souveraineté ainsi que le manque d’inclusivité des consultations. Ils ont également questionné le calendrier des discussions puisque les combats se poursuivaient. Au Tigré, les participants auraient fait part d’inquiétudes liéess au fait que le document n’aborde pas la question de l’obligation de rendre des comptes pour les forces érythréennes.

Le gouvernement a poursuivi sa campagne contre un contrôle indépendant de sa situation du point de vue des droits humains lorsqu’en mars il a menacé de présenter une résolution au Conseil des droits de l’homme de l’ONU mettant prématurément fin au mandat de l’ICHREE. Il a également refusé de coopérer avec la Commission d’enquête sur le Tigré mandatée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), aux travaux de laquelle il s’oppose. L’enquête de la Commission s’est achevée en mai sans qu'un rapport public sur ses conclusions et recommandations n'ait toutefois été publié.

Principaux acteurs internationaux

En janvier, les ministres français et allemand des affaires étrangères se sont rendus en Éthiopie et ont établi la nécessité de rendre des comptes pour les exactions généralisées commises au cours du conflit armé qui a duré deux ans comme condition de la normalisation des relations de l'Union européenne avec le gouvernement éthiopien. En mars, les États-Unis et les États membres de l’UE ont cédé aux menaces de l’Éthiopie de mettre fin prématurément au mandat de l’ICHREE, acceptant de qualifier de « final » son rapport de septembre. En octobre, l’UE, qui avait précédemment porté la résolution établissant l’ICHREE en décembre 2021, n’a présenté aucun projet de résolution lors de la session du Conseil des droits de l’homme qui renouvellerait le mandat de l’ICHREE ou maintiendrait un contrôle international sur la situation des droits humains en Éthiopie.

Le Conseil des affaires étrangères de l’UE a adopté des conclusions en avril réaffirmant l’importance de l’obligation de rendre des comptes, mais a placé la barre pour l’engagement futur de l’Union avec l’Éthiopie à un bas niveau, notamment en omettant d’appeler Addis-Abeba à coopérer avec l’ICHREE, et a négligé le manque de progrès accomplis sur des demandes clés que l’UE avait faites au début du conflit, notamment en matière de justice. En octobre, l’UE a annoncé un programme d’aide d’un montant de 650 millions d’euros à l’Éthiopie, qui avait été suspendu fin 2020 en raison du déclenchement du conflit au Tigré, ce qui représente une étape vers la normalisation des relations.

En mars, le gouvernement des États-Unis a officiellement reconnu que des crimes atroces, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, avaient été commis pendant le conflit dans le nord de l’Éthiopie. Trois mois plus tard, l’administration du président Joe Biden a informé le Congrès en Juin qu’elle estimait que le gouvernement éthiopien ne se livrait plus à un « cycle de violations flagrantes des droits humains », permettant à Addis-Abeba d’être à nouveau éligible à des prêts américains et internationaux ainsi qu’à d’autres aides financières.

En septembre, les États-Unis ont renouvelé un décret de 2021 établissant un régime de sanctions contre des individus et entités responsables de violations des droits humains commises dans le nord de l’Éthiopie. À ce jour, seuls des entités et des individus érythréens ont été sanctionnés.