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Qatar

Événements de 2023

Les gratte-ciel du centre-ville en toile de fond, des ouvriers migrants travaillent dans le port de Doha (Qatar), le dimanche 13 novembre 2022.

© 2022 AP Photo/Hassan Ammars

De novembre à décembre 2022, le Qatar a accueilli la Coupe du monde 2022 de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). Les autorités qatariennes et la FIFA n’ont pas apporté de compensation aux travailleurs migrants pour les abus généralisés qu’ils ont subis, notamment les vols de salaire et les décès inexpliqués de travailleurs ayant préparé et permis la tenue de cette compétition. Les nouvelles formes d’exploitation que les travailleurs migrants ont subies montrent que les réformes des lois du travail sont insuffisantes et soulignent le bilan honteux de la Coupe du monde 2022 en matière de droits humains. La législation du Qatar continuent par ailleurs à discriminer les femmes, via des politiques abusives fondées sur la tutelle masculine, ainsi que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenre (LGBT).

Travailleurs migrants

La Coupe du monde 2022 de la FIFA n’a pas abouti à des réformes significatives du code du travail, puisque les travailleurs qui ont construit les infrastructures de cette compétition, ou leurs proches, n’ont pas été indemnisés pour les vols de salaires généralisés, les frais de recrutement illégaux et les décès inexpliqués. Le ralentissement économique ayant suivi la compétition a créé de nouvelles vulnérabilités pour la main-d’œuvre étrangère, certains travailleurs n’ayant pas touché leur salaire pendant des mois ou bien ayant été rémunérés beaucoup moins que ce que stipulait leur contrat. Les travailleurs ont continué à rencontrer des difficultés pour changer d'emploi. r fournir une lettre de démission signée, qui a valeur de certificat de non-opposition. Nombre de travailleurs ont été obligés d’attendre au Qatar, alors qu’ils n’avaient pas reçu leurs salaires ou leurs primes de fin de contrat, car ils risquaient de perdre la totalité de leur dû s’ils quittaient le pays.

Le Qatar a annoncé en 2020 qu’il permettait aux travailleurs migrants de changer d’emploi ou de quitter le pays sans l’autorisation de leur employeur, lançait des mesures de protection des rémunérations telles que le Système de protection des salaires et le Fonds de soutien et d’assurance des travailleurs, et qu’il fixait un salaire minimum pour tous les travailleurs. Cependant Human Rights Watch a documenté que les retombées de ces initiatives étaient limitées en raison de leur introduction tardive, de leur portée limitée ou de leur application insuffisante. À l’approche de la Coupe du monde, la vigilance du public a par ailleurs mis en lumière des milliers de décès inexpliqués de travailleurs migrants au Qatar. Pourtant le pays n’a pas rendu publique les données relatives à ces décès, ni enquêté sur leurs causes. La majorité des décès a été attribuée à des « causes naturelles » ; or d’après le code du travail qatarien, seuls les décès considérés comme dus au travail peuvent être indemnisés. Seulement quelques société ont adopté des bonnes pratiques, comme la mise en place pour les travailleurs migrants d’une assurance-vie couvrant les blessures et le décès, ou encore des mécanismes de remboursement des frais de recrutement.

Les autorités qatariennes ont ignoré les appels massifs à réparer ces abus généralisés, de la part notamment de 14 associations de football nationales, de représentants politiques, de joueurs et d’anciens joueurs, déclarant que ces critiques étaient racistes et affirmant avec insistance que les mécanismes d’indemnisation existants étaient suffisants pour traiter ces abus commis de longue date – des affirmations erronées reprises ensuite par la FIFA.

Droits des femmes

Human Rights Watch a documenté le fait que le système discriminatoire de tutelle masculine, que l’on retrouve dans toutes les lois, réglementations et pratiques qatariennes, restreignait largement la capacité des femmes à prendre des décisions autonomes concernant leur vie.

Au Qatar, les femmes doivent obtenir la permission de leur tuteur masculin pour se marier, obtenir une bourse d’État pour étudier à l’étranger, occuper de nombreux emplois publics, voyager à l’étranger (jusqu’à un certain âge) ou bénéficier de certains soins de santé procréative.

Les femmes qatariennes célibataires de moins de 25 ans ont besoin de l’autorisation de leur tuteur pour quitter le pays. Les femmes mariées de tout âge peuvent voyager sans autorisation, mais un homme peut déposer une demande au tribunal pour empêcher sa femme de voyager. Les femmes qatariennes sont bannies des événements et des bars servant de l’alcool, et les femmes célibataires qatariennes de moins de 30 ans ne peuvent pas séjourner à l’hôtel sans tuteur masculin. En pratique, les femmes subissent des discriminations si elles essaient de louer un appartement sans l’aval d’un tuteur masculin.

La permission du tuteur est exigée pour travailler dans les organismes publics et les femmes étudiant à l’Université du Qatar sont restreintes dans leurs déplacements. Le tuteur masculin et d’autres membres de la famille peuvent dénoncer une femme à la police pour « absence » du foyer, ce qui peut déclencher son arrestation et son retour forcé au foyer, ou son placement en détention administrative. 

Le code de la famille du Qatar discrimine par ailleurs les femmes en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d’héritage. Les femmes ont besoin de l’autorisation d’un tuteur masculin pour se marier et les femmes mariées sont censées obéir à leur mari. Elles peuvent perdre le soutien financier de leur mari si elles travaillent ou voyagent alors que leur mari s’y oppose. Les hommes ont le droit unilatéral de divorcer, tandis que les femmes doivent requérir le divorce devant le tribunal, pour des motifs limités. Selon les dispositions en matière d’héritage, les sœurs reçoivent la moitié du montant hérité par leurs frères.

Le code de la famille interdit aux maris de porter atteinte à leur épouse, mais il n’existe aucune loi portant sur la violence domestique ni aucune mesure pour protéger les survivantes et poursuivre les auteurs des abus.

Les femmes sont privées de l’autorité d’agir comme tutrice principale de leurs enfants, même lorsqu’elles sont divorcées et qu’elles en ont la garde. Alors que le Qatar permet aux hommes de transmettre leur nationalité à leurs épouses et enfants, les enfants d’une femme qatarienne et d’un homme non qatarien ne peuvent prétendre à la nationalité que dans des conditions discriminatoires et très restreintes. Le Qatar a adopté une loi sur la résidence permanente permettant aux enfants d’une femme qatarienne mariée à un homme non qatarien, entre autres, de demander une carte de résidence permanente, de posséder des biens immobiliers et de bénéficier des services publics de santé et d’éducation.

Orientation sexuelle et identité de genre

Human Rights Watch a documenté des cas de personnes LGBT au Qatar qui ont été arrêtées arbitrairement et maltraitées lors de leur détention, notamment des cas où les personnes ont été gravement et fréquemment battues, insultées et harcelées sexuellement en garde à vue. Des agents des forces de sécurité ont également agressé verbalement des personnes détenues, obtenu d’elles des aveux forcés, les ont obligées à signer des promesses de « cesser toute activité immorale » et les ont empêchées d’avoir accès à un avocat, à leur famille ou à des soins médicaux. Les forces de sécurité ont imposé que les détenues transgenre prennent part à des séances de thérapie de conversion dans un centre d’« aide comportementale » soutenu par l’État.

Le code pénal qatarien, par l’article 285, punit les relations sexuelles hors mariage, y compris les relations homosexuelles consensuelles, de peines allant jusqu’à sept ans de prison. Il prévoit des peines allant d’un à trois ans (article 296) pour tout homme qui « pousse » ou « incite » un autre homme à « commettre un acte de sodomie ou immoral ». Une peine de 10 ans d’emprisonnement (article 288) peut être infligée à toute personne ayant des relations sexuelles consensuelles hors mariage avec une personne de plus de 16 ans, ce qui peut s’appliquer aussi bien aux relations homosexuelles consensuelles entre femmes ou entre hommes qu’aux partenaires hétérosexuels.

Le Qatar surveille et arrête des personnes LGBT en se fondant sur leur activité en ligne et censure les médias traditionnels sur le sujet de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, y compris ceux qui apportent leur soutien aux personnes LGBT.

Liberté d’expression

Le code pénal qatarien pénalise le fait de critiquer l’émir, d’insulter le drapeau du Qatar, de dénigrer la religion, y compris par blasphème, et d’inciter à « renverser le régime ». La loi qatarienne de 2014 sur la cybercriminalité prévoit un maximum de trois ans de prison et/ou une amende de 500 000 rials du Qatar (à peu près 137 325 USD) pour toute personne reconnue coupable d’avoir diffusé des « fausses informations » (un terme non défini) sur Internet, ou publié des contenus en ligne qui « bafouent les valeurs ou les principes de la société » ou qui « insultent ou diffament autrui ». En janvier 2020, le Qatar a amendé son code pénal pour infliger jusqu’à cinq ans de prison, et/ou une amende de 100 000 rials du Qatar (à peu près 27 465 USD), pour la diffusion de rumeurs ou de fausses informations (des termes non définis) avec l’intention de nuire.

L’ancien directeur chargé des médias et de la communication du Comité suprême pour l’organisation et l’héritage de la Coupe du monde, Abdul Ibhais, qui a été arrêté en novembre 2019, purge actuellement une peine de trois ans de prison pour corruption. Il assure qu’il a été victime de poursuites malveillantes en représailles des critiques qu’il avait exprimées sur la façon de gérer une grève des travailleurs migrants au Qatar en 2019. Son procès, basé sur des aveux forcés, n’a pas été équitable.

Apatrides

La décision du Qatar de déchoir arbitrairement de leur nationalité, depuis 1996, les familles du clan Ghufran fait que certains de leurs membres sont apatrides, ce qui les prive de plusieurs droits humains fondamentaux. Les membres apatrides du clan Ghufran sont privés de leurs droits au travail, à l’éducation, aux soins médicaux, au mariage, à fonder une famille, à la propriété et à la liberté de déplacement. Sans documents d’identité valides, leur accès aux services de base est restreint et ils risquent la détention arbitraire. Ceux qui vivent au Qatar se voient refuser les avantages octroyés par l’État aux citoyens qatariens, comme les postes de la fonction publique, les aides alimentaires et énergétiques et la gratuité des soins médicaux de base.

Politiques et actions en matière de changement climatique

Le Qatar contribue de façon significative à la crise climatique mondiale. Il est classé à la première place mondiale des émissions de gaz à effet de serre par habitant. Détenteur de la troisième réserve de gaz naturel au monde, il était jusqu’à récemment le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL).

Dans sa Contribution déterminée au niveau national (CDN) mise à jour, un plan d’action quinquennal national de lutte contre le changement climatique exigé par l’accord de Paris, le Qatar a fixé un objectif de réduction de ses émissions de 25 % par rapport au scénario initial, sans préciser quel était le scénario initial. Le Qatar a pris quelques mesures pour se détourner de la production et de la consommation de carburants fossiles, mais a, à la place, accéléré plutôt sa production de GNL destiné à l’exportation.

Le Qatar est lui-même un pays vulnérable aux impacts du réchauffement climatique. Pas moins de 97 % de la population du Qatar vit le long d’une côte exposée, ce qui la rend particulièrement vulnérable à la fois à la montée du niveau de la mer et aux phénomènes climatiques extrêmes. Les travailleurs migrants, en particulier les professions travaillant en extérieur comme les ouvriers du bâtiment, sont exposés de façon disproportionnée à la canicule et font déjà face à de graves risques pour leur santé.

Human Rights Watch a documenté l’insuffisance des mesures de protection actuelles contre la canicule, comme les interdictions méridiennes de travail. Même si le Qatar a étendu ses mesures de protection contre la chaleur, y compris l’interdiction de travailler lorsque la température au thermomètre-globe mouillé dépasse 32,1 °C, la température limite est fixée à un seuil trop élevé pour protéger efficacement les ouvriers ; sans compter que l’application de ces mesures est encore très lacunaire.

Acteurs internationaux clés

La position géopolitique du Qatar s’est renforcée en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, notamment en Europe, où le GNL qatarien fait office d’alternative à l’énergie russe. Le Qatar est un exportateur de GNL de plus en plus important. 

Les membres de l’Organisation internationale du travail ont élu le Qatar à la présidence de la 111e session (du 5 au 16 juin) de la Conférence internationale du travail, bien que les autorités qatariennes aient clairement échoué à protéger les droits des travailleurs, notamment le droit des travailleurs migrants à former des syndicats.

Le choix du Qatar pour accueillir la Coupe du monde 2022 était survenu alors même que les autorités belges enquêtaient au sujet d’allégations de corruption de membres du Parlement européen, un scandale dit « Qatargate » qui a révélé le rôle supposé joué par le pays, aux côtés d’autres États, pour soudoyer des députés européens afin de redorer son image. Ce scandale a poussé à envisager de renforcer les règles de transparence et d’intégrité au sein des institution européennes, mais a également été utilisé par certains groupes politiques pour attaquer des ONG.

En septembre, l’Union européenne a participé à un dialogue sur les droits humains avec le Qatar. Aucun résultat concret de ces discussions n’a encore été révélé.