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Rwanda : Paul Rusesabagina reconnu coupable à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités

Les violations de la procédure régulière et du droit à un procès équitable décrédibilisent le verdict

Paul Rusesabagina assiste à une audience du tribunal à Kigali, au Rwanda, le 26 février 2021. © 2021 AP Photo/Muhizi Olivier

(Nairobi) – La condamnation de l’opposant politique et détracteur rwandais Paul Rusesabagina a été prononcée à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités, représentatif de l’ingérence du gouvernement et de sa manipulation du système judiciaire, a déclaré Human Rights Watch.

Le 20 septembre 2021, la Chambre spéciale chargée de juger les crimes internationaux et transnationaux au sein de la Haute Cour du Rwanda a condamné Paul Rusesabagina à 25 ans de prison, notamment pour avoir rejoint un groupe terroriste et avoir commis des actes terroristes. Ses 20 coaccusés ont aussi été condamnés.

« Les autorités rwandaises ont certes le droit de juger de véritables atteintes à la sécurité nationale, mais elles ont décrédibilisé cette affaire judiciaire du début à la fin, en commençant par la manière dont elles ont détenu illégalement Paul Rusesabagina, jusqu’aux multiples violations de son droit à un procès équitable, » a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Sans surprise, nous avons vu une fois de plus que les tribunaux rwandais sont dominés par l’influence politique. »

Lors de l’énoncé du verdict, les juges ont examiné les preuves du rôle de Paul Rusesabagina et Callixte Nsabimana – alias Sankara – en tant que dirigeants présumés d’un mouvement d’opposition et de sa branche armée, qui a revendiqué plusieurs attaques meurtrières au Rwanda en 2018 et 2019. La juge Beatrice Mukamurenzi a déclaré : « Ils ont commis des actes de terreur dont ils se sont ensuite vantés dans différentes déclarations et vidéos. » Le tribunal a rejeté les allégations d’enlèvement ou de coercition en ce qui concerne la disparition forcée, entre le 27 et le 31 août 2020, et le transfert illégal de Rusesabagina au Rwanda. Les juges n’ont pas abordé les allégations de mauvais traitements.

Paul Rusesabagina est mieux connu comme le gérant de l’Hôtel des Mille Collines, dans le centre de Kigali, où des centaines de personnes ont trouvé refuge pendant le génocide de 1994 au Rwanda. Après le génocide, il a fui le Rwanda, craignant pour sa sécurité. Plus tard, il est devenu un farouche détracteur du gouvernement rwandais et a cofondé le Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), une coalition de groupes d’opposition, qui possède une aile armée connue sous le nom de Forces de libération nationale (FLN).

Les FLN ont revendiqué la responsabilité de plusieurs attaques meurtrières dans la province du Sud du Rwanda depuis 2018. Paul Rusesabagina, Callixte Nsabimana, l’ancien porte-parole du FLN, et les autres coaccusés ont été condamnés pour des chefs d’inculpation liés à ces attaques. Les procureurs ont requis la réclusion à perpétuité contre Rusesabagina et cherché à l’impliquer dans la mort d’au moins neuf personnes. Human Rights Watch a surveillé le procès, depuis son ouverture le 17 février, de manière indépendante, a interrogé les avocats et les membres de la famille de Paul Rusesabagina et a étudié les documents du tribunal et les requêtes présentées par ses avocats.

Dans un appel vidéo enregistré entre le ministre de la Justice de l’époque Johnston Busingye et deux consultants de l’agence de relations publiques britannique Chelgate diffusé par Al Jazeera le 26 février, Johnston Busingye a admis que les autorités pénitentiaires rwandaises avaient intercepté des communications couvertes par le secret professionnel entre Paul Rusesabagina et ses avocats, en violation de ses droits à une procédure régulière. Le 1er mars, le tribunal a organisé une visite à la prison de Nyarugenge et a conclu que Paul Rusesabagina ne disposait pas de l’équipement nécessaire pour préparer son procès, dont un ordinateur pour lui permettre de consulter les documents judiciaires, et que ses documents confidentiels liés au procès ne devaient pas être saisis. Cependant, les avocats et les membres de la famille de Paul Rusesabagina ont indiqué à Human Rights Watch que les ingérences concernant ses documents juridiques ont continué.

Les normes juridiques rwandaises et internationales protègent la confidentialité de toutes les communications et les consultations entre les avocats et leurs clients dans le cadre de leurs relations professionnelles. Les actions des autorités rwandaises écornent encore plus l’intégrité de l’issue du procès et compromettent la perspective d’une justice crédible pour les victimes des attaques que Paul Rusesabagina est accusé de soutenir, a expliqué Human Rights Watch.

Après qu’une demande, en date du 5 mars, d’ajourner le procès pour laisser à Paul Rusesabagina le temps de se préparer a été rejetée, le prévenu a informé la cour qu’il ne participerait plus à son procès en raison des violations de ses droits à un procès équitable. Depuis, Paul Rusesabagina et ses avocats n’ont pas assisté aux séances du procès et n’ont pas contre-interrogé certains des principaux témoins de l’accusation.

Dans une déclaration sous serment, l’un des avocats de Paul Rusesabagina, Jean-Félix Rudakemwa, a indiqué que le 23 avril 2021, les autorités pénitentiaires l’avaient informé que tous les documents et dispositifs entrant dans la prison seraient fouillés, y compris les documents judiciaires protégés par le secret professionnel. La fille de Paul Rusesabagina, Anaïse Kanimba, a expliqué aux médias qu’elle et sa famille pensaient que leurs communications étaient surveillées après que l’avocat a été fouillé et ses documents saisis lors de sa visite suivante, le 29 avril. Elle a précisé qu’ils avaient communiqué en privé sur une déclaration sous serment qu’ils voulaient que Paul Rusesabagina signe. La fouille semblait se concentrer sur la recherche de cette déclaration sous serment relatant les allégations de mauvais traitements en détention de Paul Rusesabagina, y compris pendant la période où il a fait l’objet d’une disparition forcée.

En juillet, Amnesty International et Forbidden Stories ont rapporté que les autorités rwandaises ont utilisé le logiciel espion Pegasus de NSO Group pour cibler potentiellement plus de 3 500 activistes, journalistes et personnalités politiques. Les organisations ont constaté que ce logiciel espion a aussi été utilisé pour infecter le téléphone d’une autre fille de Paul Rusesabagina, Carine Kanimba, d’après l’analyse technique de son téléphone.

Depuis le moment de l’arrestation jusqu’à l’énoncé du verdict, ce procès a été marqué par des irrégularités et des preuves d’interférences politiques, a déclaré Human Rights Watch.

L’arrestation et la détention de Paul Rusesabagina ont commencé en tant que disparition forcée en août 2020. Un an plus tard, les autorités n’ont toujours pas été en mesure de fournir un récit cohérent ou exhaustif de la manière dont il a été appréhendé et placé sous leur détention. Le 10 mars 2021, le tribunal a statué que le transfert de Rusesabagina était légal et qu’il n'avait pas été enlevé, bien que les autorités elles-mêmes reconnaissent qu’il a été « piégé » pour monter dans un avion à destination du Rwanda. Les autorités rwandaises n’ont pas divulgué qui a détenu Paul Rusesabagina lorsqu’il a disparu à Dubaï le 27 août 2020, jusqu’à sa réapparition à Kigali le 31 août. Cependant, dans la vidéo d’Al Jazeera, Johnston Busingye a admis le rôle du gouvernement dans le transfert illégal.

Johnston Busingye a aussi admis que le gouvernement rwandais a payé le vol qui a ramené Paul Rusesabagina de Dubaï à Kigali le 27 août 2020, affirmant que c’était légal. Paul Rusesabagina a indiqué qu’il ne savait pas où il se trouvait et qu’il a été maintenu les yeux bandés, mains et pieds liés, et son avocat affirme que pendant cette période, il a fait l’objet de mauvais traitements et été contraint d’avouer les crimes pour lesquels il a été mis en examen.

Quand des autorités privent une personne de sa liberté et refusent de reconnaître sa détention, ou dissimulent l’endroit où elle se trouve, elles procèdent à une disparition forcée, un crime prohibé en toutes circonstances au regard du droit international. Les personnes impliquées et responsables de tels actes devraient être tenues pénalement responsables, a déclaré Human Rights Watch.

Au cours du procès, les procureurs ont fait référence aux interrogatoires menés par des agents du Bureau d’enquête du Rwanda sans la présence d’un avocat, le 31 août 2020. Dans les premiers jours suivant son arrestation, et pendant la phase clé des enquêtes, Paul Rusesabagina n’a pas eu accès à Gatera Gashabana, un avocat choisi par sa famille. Presque une semaine après que Paul Rusesabagina a été présenté aux médias à Kigali, le 5 septembre, David Rugaza a annoncé lors d’une conférence de presse que Rusesabagina l’avait choisi comme avocat. Les autorités rwandaises ont déclaré qu’elles ont permis à Paul Rusesabagina de choisir parmi une liste d’avocats du Barreau du Rwanda (Rwanda Bar Association). Gashabana n’a pu représenter Rusesabagina qu’à partir de novembre, après que les deux avocats commis d’office ont été rappelés par le Barreau du Rwanda. L’équipe d’avocats internationale de Paul Rusesabagina n’a pas été autorisée à le représenter au tribunal.

L’extradition légale d’un suspect pour être jugé dans un autre pays exige de respecter la procédure régulière dans le processus d’extradition supervisé par un tribunal indépendant qui, entre autres aspects, peut évaluer si les droits du suspect en détention et lors du procès seront garantis. Ce processus n’a pas été suivi dans le transfert de Paul Rusesabagina au Rwanda. Malgré cela, le 26 février 2021, la Chambre spéciale chargée de juger les crimes internationaux et transnationaux au sein de la Haute Cour a statué qu’elle avait compétence pour le juger.

Paul Rusesabagina, résident permanent aux États-Unis et citoyen belge, s’est vu décerner la médaille présidentielle de la liberté (« Presidential Medal of Freedom ») par George W. Bush en 2005 et le prix Tom Lantos des droits humains en 2011. Au fil des années, Paul Rusesabagina est devenu un détracteur influent du Front patriotique rwandais et a accusé Paul Kagame d’armer des milices secrètes. En décembre 2018, Paul Rusesabagina a dénoncé le gouvernement de Paul Kagame dans une vidéo sur YouTube et a appelé à « l’utilisation [de] tous les moyens possibles pour apporter un changement au Rwanda alors que tous les moyens politiques ont été essayés et ont échoué ». Dans la vidéo, il promet « un soutien sans réserve » aux FLN, l’aile armée du MRCD. Depuis 2018, les FLN ont revendiqué la responsabilité de plusieurs attaques autour de la forêt de Nyungwe, dans la province du Sud, près de la frontière avec le Burundi.

« Pour garantir un procès équitable, il incombe aux juges et aux autorités judiciaires de respecter et de suivre toutes les normes en matière de droits humains », a conclu Lewis Mudge. « Cependant, les violations graves de ces normes tout au long du procès de Paul Rusesabagina ont porté un nouveau coup à la crédibilité du système judiciaire rwandais quant au traitement des affaires considérées comme politiques. »

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