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Burkina Faso : Le coup d’État est une menace pour les droits humains

Les protections fondamentales doivent être garanties et un régime démocratique civil rétabli

Une capture d'écran montre le capitaine Kader Ouedraogo (porte-parole) en train de confirmer le coup d'État militaire à la télévision d'État RTB à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 24 janvier 2022. © 2022 Agence Anadolu via Getty Images

(Bamako) – Au Burkina Faso, les militaires responsables du coup d’État perpétré en janvier devraient garantir la protection des droits humains et faciliter une transition rapide vers un régime démocratique, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ils devraient donner la priorité à un traitement digne des personnes en détention, garantir que les journalistes et activistes puissent travailler librement, et veiller à ce que les opérations de lutte contre le terrorisme soient menées dans le respect des droits fondamentaux.  

Le 24 janvier, des officiers de rang intermédiaire de l’armée, contestant la réponse gouvernementale à une insurrection islamiste et l’insuffisance du soutien aux soldats, ont orchestré un coup d’État contre le président Roch Marc Christian Kaboré, âgé de 64 ans, qui avait été réélu pour un second mandat en 2020. Depuis 2016, des groupes armés islamistes et les forces de sécurité et des milices progouvernementales sont responsables de la mort de plusieurs milliers de personnes au Burkina Faso, poussant plus de 1,5 million de personnes à fuir leurs foyers. 

« Le coup d’État militaire au Burkina Faso a été perpétré dans un pays aux institutions démocratiques fragiles, sur fond de conflit armé brutal et de crise humanitaire croissante », a constaté Corinne Dufka, directrice pour le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités militaires désormais aux commandes devraient agir d’urgence pour protéger les droits de la population, et s’assurer que la situation déjà mauvaise des droits humains ne s’aggrave pas. »

Lors d’une conférence de presse donnée le 24 janvier, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), dirigé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, a annoncé la suspension de la constitution, la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée nationale, et imposé un couvre-feu dans tout le pays. Le porte-parole de ce mouvement a déclaré que des élections seraient organisées « dans un délai raisonnable » et que les engagements pris par le Burkina Faso au niveau international, notamment ceux relatifs aux droits humains, seraient respectés.

Les putschistes ont affirmé que le coup d’État s’était déroulé « sans effusion de sang ». Cependant, l’incertitude règne quant à la sécurité du président Kaboré et de ses proches collaborateurs, alors que des informations font état de blessés et de morts potentiels au moment où les militaires ont pris le pouvoir. Le MPSR devrait rendre public le lieu de détention des responsables gouvernementaux arrêtés et leur état de santé, et autoriser le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Commission Nationale des Droits Humains (CNDH) et des observateurs indépendants à rendre visite à Kaboré et aux autres détenus. Ces personnes devraient être rapidement présentées à un juge et inculpées, le cas échéant, ou remises en liberté.

Le coup d’État a été perpétré dans le contexte d’une nette détérioration de la situation des droits humains et sécuritaire dans le pays au cours de l’année écoulée, marquée par une recrudescence des attaques et des atrocités commises par des groupes armés islamistes et une crise humanitaire croissante. Le Burkina Faso avait déjà du mal à faire en sorte que justice soit rendue pour les centaines d’exécutions sommaires perpétrées par toutes les parties et à faire respecter les droits civils et politiques des citoyens.

En 2021, des groupes armés islamistes ont tué au moins 250 civils et des dizaines de membres des forces de sécurité lors d’attaques visant plusieurs provinces. Depuis 2018, Human Rights Watch a documenté des exécutions sommaires de centaines de suspects perpétrées par les forces de sécurité et les milices progouvernementales, principalement dans les régions du nord du pays. Pratiquement aucune de ces attaques n’a donné lieu à des enquêtes et à des poursuites judiciaires.

Le Dr Daouda Diallo, défenseur burkinabé des droits humains, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation (CISC) et lauréat du prix Martin Ennals 2022, a déclaré à Human Rights Watch qu’il espérait que les autorités militaires « s’attaqueraient aux divisions sociales croissantes du Burkina Faso et assureraient la protection indispensable de tous les civils menacés par le conflit, tout en respectant scrupuleusement le droit international humanitaire ». 

Les autorités militaires devraient également veiller au respect de la liberté d’expression. Fin 2021 et début 2022, le gouvernement avait bloqué l’accès à l’Internet dans le but de contenir les manifestants qui étaient descendus dans la rue pour demander la fin des violences et protester contre la hausse des prix des denrées alimentaires. Une loi de 2019 criminalisant certains aspects de la couverture médiatique des opérations des forces de sécurité avait entravé la liberté des médias, les journalistes hésitant à rendre compte des allégations d’abus commis par les forces progouvernementales. En outre, en 2021, le gouvernement avait interdit de facto aux journalistes de se rendre dans les camps de déplacés internes. Après avoir pris le pouvoir, le MPSR a émis un avertissement contre la diffusion de « fausses informations ».

Les dirigeants régionaux et internationaux ont largement condamné le coup d’État. Dans des remarques adressées aux médias, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a souligné « que le rôle des militaires doit être de défendre leurs pays et leurs peuples, et non d’attaquer leurs gouvernements et de se disputer le pouvoir ». La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, qui s’est récemment rendue au Burkina Faso, a déclaré qu’elle déplorait « profondément » le coup d’État, notant « l’importance de préserver les avancées durement acquises en matière de démocratie et de droits de l’homme dans le pays ».

Le chef de la politique étrangère de l'Union européenne, Josep Borrell, a condamné le coup d'État, et a averti que le partenariat de l’UE avec le Burkina Faso subirait des « conséquences immédiates » si l'ordre constitutionnel n'était pas rétabli dans ce pays. Le président de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a exhorté tous les acteurs à privilégier « le dialogue politique comme moyen de résoudre les problèmes du Burkina Faso », tandis que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a qualifié le coup d’État de « recul démocratique majeur ».

Au cours de l’année écoulée, l’Afrique a vécu des prises de pouvoir par des militaires au Tchad, en Guinée, au Mali et au Soudan. Les putschistes ont souvent tiré profit des troubles sociaux, des griefs liés à la corruption et à l’incapacité des gouvernements à respecter les droits fondamentaux, à faire respecter les obligations constitutionnelles et à mener à bien les réformes promises. Les gouvernements démocratiquement élus ne doivent pas se contenter de faire des élections un marqueur de progrès démocratique mais se concentrer aussi sur le respect des droits humains, le renforcement de l’état de droit et la mise en place d’institutions crédibles et indépendantes, a préconisé Human Rights Watch.

Les autorités militaires burkinabés devraient nommer des ministres et d’autres hauts fonctionnaires connus pour leur respect des droits, a recommandé Human Rights Watch. Elles devraient également chercher à faire progresser les enquêtes indépendantes et impartiales sur les violations commises par le passé, protéger les droits des suspects arrêtés lors d’opérations de lutte antiterroristes, déployer des prévôts dans toutes les unités opérationnelles afin d’y promouvoir la discipline, et fournir des ressources adéquates au système judiciaire pour qu’il enquête et poursuive tous les individus responsables de graves violations.

Tant que les responsabilités ne seront pas établies pour les violations commises par les forces de sécurité à l’encontre des membres et sympathisants présumés des islamistes armés, les abus graves risquent de se poursuivre, ceux du gouvernement ayant poussé de nombreux habitants à rejoindre ces groupes armés.

« Les dirigeants militaires du Burkina Faso ne doivent pas permettre que le bouleversement politique provoqué par le coup d’État crée un vide dans la protection des droits fondamentaux », a conclu Corinne Dufka. « Les autorités militaires devraient faire régner la discipline parmi les forces de sécurité et veiller à ce que les droits humains de tous les Burkinabés soient respectés, y compris leur droit de voter librement lors des futures élections. »

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