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RD Congo : Raid meurtrier d’une milice contre des déplacés en Ituri

L’armée congolaise et les Casques bleus devraient renforcer la protection des camps

Des combattants de la milice CODECO ont détruit et brulé des centaines de huttes et d’abris de personnes déplacées lors d’un raid meurtrier mené le 12 juin 2023 dans la province de l’Ituri, dans l'est de la République démocratique du Congo. Photo prise le  13 juin 2023. © 2023 Privé

(Goma) – Les combattants d’un groupe armé ont tué au moins 46 civils, dont la moitié étaient des enfants, et ont pillé et incendié un camp de personnes déplacées le 12 juin 2023 dans la province de l’Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces deux dernières années, la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO), une milice essentiellement Lendu, a attaqué à plusieurs reprises des camps de personnes déplacées en Ituri.

La milice a attaqué le camp de Lala, accueillant des personnes déplacées principalement Hema, pendant la nuit, alors que la plupart des résidents dormaient. Les combattants ont tué par balles ou à l’arme blanche, ou dans certains cas brûlé 23 enfants, 13 femmes et 10 hommes, et en ont blessé 8 autres. Les soldats congolais et les forces de maintien de la paix des Nations Unies déployés dans la ville voisine de Bule ne sont pas intervenus.

« Attaquer les civils dans les camps où ils sont venus trouver refuge et échapper aux violences est devenu la marque de fabrique sordide de la milice CODECO », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la République démocratique du Congo à Human Rights Watch. « Ces camps devraient être des sanctuaires pour les déplacés plutôt que des lieux de massacre. Il est essentiel que les forces congolaises et les forces de maintien de la paix de l’ONU exercent leur mandat de protection afin de garantir la sécurité des personnes déplacées. »

Le cycle actuel de violence et de représailles en Ituri, qui a éclaté en décembre 2017, découle de problèmes anciens non résolus et qui perdurent depuis le début des années 2000. Des dizaines de milliers de civils avaient alors péri dans des massacres perpétrés entre 1999 et 2007. Des conflits résultant d’inégalités issues de l’époque coloniale autour du droit foncier et de la propriété, des relations ethniques, de l’ingérence de puissances régionales ou encore du contrôle des ressources naturelles entre communautés, en particulier entre Hema et Lendu, constituaient des enjeux clefs de la violence à l’époque et continuent de l’être aujourd’hui.

Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec neuf survivants et témoins, qui ont déclaré avoir été réveillés par les coups de feu lorsque les combattants ont attaqué le camp.

Les miliciens sont entrés dans le camp par les côtés sud et nord-est vers 2 heures du matin et ont immédiatement ouvert le feu sur les abris des déplacés. Ils ont tiré sur les personnes qui sortaient de leurs huttes pour s’enfuir tout en tuant d’autres personnes à l’intérieur des abris, dont certaines à l’aide de machettes et de couteaux. Les combattants ont ensuite incendié des dizaines de huttes et abris, y compris certains où se trouvaient encore des civils. Au moins 13 corps calcinés ont été retrouvés après l’attaque.

Des personnes déplacées et des habitants du village voisin de Lodinga ont alerté par téléphone l’armée congolaise et la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo (MONUSCO), alors que l’attaque était en cours, mais n’ont reçu aucune aide. « Il y avait du feu qu’on pouvait même voir de loin, et des coups de balles qu’ils pouvaient entendre, mais ils ne sont pas venus », a déclaré un homme Hema de 32 ans. Un combattant de la milice a tué son fils de huit ans à coups de machette. « Nous ne savons pas ce que nous allons devenir si le gouvernement nous laisse sans sécurité dans le camp. »

Des soldats congolais étaient postés à environ 1,5 kilomètres du camp. Ils n’y sont entrés qu’après le lever du soleil, une fois les miliciens partis, pour aider à rassembler les morts et les blessés.

Les Casques bleus basés à Bule, à une distance d’environ six kilomètres du camp, n’ont pas pu intervenir, car l’un de leurs véhicules blindés de transport de troupes est tombé en panne, a déclaré à Human Rights Watch leur commandant, le major Imran Tareq. Cela les a empêchés de se déplacer en convoi de deux véhicules, comme l’exige la mission.

Le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies a répondu par courriel à des questions posées par Human Rights Watch, indiquant que la MONUSCO menait une enquête interne sur la réponse à l'attaque. « Si l'enquête de la Mission conclut que le personnel militaire n'a pas respecté ses obligations dans le cadre du mandat, sans aucune raison valable, il fera l'objet de mesures disciplinaires sévères », a déclaré ce Département. « Du côté civil, nous examinons également notre système d'alerte précoce et les réseaux d'alerte communautaires pour voir où des améliorations urgentes doivent être apportées ».

La plupart des personnes tuées ont été enterrées dans une fosse commune à proximité du camp de Lala, dans la province de l’Ituri en République démocratique du Congo, le 14 juin 2023. © 2023 Privé

Deux jours après l’attaque, les déplacés ont enterré les morts, enveloppés dans des bâches plastiques, dans une fosse commune à proximité du camp, à l’exception de deux des victimes enterrées à Lodinga.

Dans le cadre du Réseau d’alerte communautaire mis en place au camp de Lala, les Casques bleus avaient fourni aux représentants des personnes déplacées et des jeunes des sifflets et des téléphones pour les alerter, ainsi que les forces gouvernementales, en cas d’attaque. Le porte-parole de l’armée congolaise de la province de l’Ituri, le lieutenant Jules Ngongo, a déclaré à Human Rights Watch qu’après les tueries du 12 juin, l’armée régulière avait mené des opérations militaires contre les groupes armés actifs dans la zone, et renforcé la sécurité autour du camp.

Le major Tareq de la MONUSCO a déclaré que le nombre de patrouilles de la mission avait été revu à la hausse et porté à quatre par période de 24 heures, pour le seul camp de Lala. Les stratégies de protection des camps de personnes déplacées devraient être révisées de toute urgence afin de prévenir de nouvelles attaques et créer des systèmes d’alerte plus réactifs, a déclaré Human Rights Watch.  

Des survivants et plusieurs sources médicales et onusiennes ont confirmé que plus d’un mois après l’attaque, à la mi-juillet, plusieurs milliers d’habitants du camp étaient encore trop effrayés pour revenir passer la nuit sur le site de Lala et préféraient dormir dans les villages environnants ou à Bule.

Le lieutenant Ngongo a déclaré que l’armée avait ouvert une enquête. Le 12 juin, la cheffe de la MONUSCO, Bintou Keita, a condamné l’attaque qui, selon elle, « constitue une violation grave du droit international humanitaire ». Elle a déclaré que les forces de maintien de la paix « [soutiendraient] toute enquête destinée à déterminer les responsabilités [de l’attaque] et à traduire leurs auteurs devant les juridictions nationales ou internationales ».

Les autorités congolaises devraient enquêter de toute urgence sur ce massacre et demander le soutien de l’Union africaine (UA) et de l’ONU, a déclaré Human Rights Watch. Le Rapporteur spécial de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pour la République démocratique du Congo devrait mener une mission d’enquête, en collaboration avec d’autres mécanismes spéciaux de la Commission, et rendre leurs conclusions publiques.

Au moins 945 civils ont été tués dans la province de l’Ituri depuis le début de l’année, selon les données recueillies par le Kivu Security Tracker, un projet mené conjointement par le Groupe d’Étude sur le Congo, Human Rights Watch et la Fondation Bridgeway. Des factions du groupe armé, en particulier sa composante principale, CODECO/URDPC (Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais), ont été impliquées dans près de la moitié des meurtres.

L’état de siège imposé par le gouvernement congolais en mai 2021 n’a pas permis d’endiguer la violence généralisée dans la région et les forces gouvernementales se sont également rendues responsables d’abus contre les civils. La situation humanitaire en Ituri continue de se détériorer, avec plus d’1,6 million de personnes déplacées dans la seule province, selon l’ONU.

La CODECO, qui prétend protéger les intérêts de la communauté Lendu, est apparue en 2017, reprenant le nom d’une ancienne coopérative agricole qui était connue vers la fin des années 1970. Une série d’attaques et de représailles entre les communautés Hema et Lendu s’est intensifiée tout au long de l’année 2018, caractérisées par des tueries et des raids indiscriminés menés contre plusieurs villages ainsi que des déplacements massifs de population. Avec l’intensification des violences ces dernières années, des factions dirigées par les Hema ont formé le groupe armé Zaïre, tandis qu’une autre milice nommée Mouvement d’autodéfense populaire de l’Ituri (MAPI) et qui prétend elle aussi défendre la communauté Hema, a été créée fin 2022.

La majeure partie de ces violences mortelles sont alimentées par la lutte pour le contrôle des mines d’or en Ituri, qui ont longtemps été une source de revenus pour les rebelles, les hommes politiques et les responsables militaires congolais impliqués dans la contrebande d’or vers les pays voisins. En décembre 2022, le groupe d’experts des Nations Unies sur la République démocratique du Congo a signalé que « les factions de la CODECO et le groupe Zaïre ont continué à se battre pour l’exploitation et le commerce de l’or, et à tirer profit de ces activités », notamment en imposant des taxes sur les marchandises, les civils et les acteurs économiques. Ils ont également déclaré que certains officiers de l’armée congolaise collaboraient avec des groupes armés et bénéficiaient des activités d’extraction de l’or.

L’attaque du 12 juin a eu lieu seulement quelques jours après que certains des groupes armés rivaux qui opèrent dans le nord-est de l’Ituri, dont la CODECO/URDPC et le MAPI, ont signé une série d’engagements en faveur de la paix, notamment celui de ne plus circuler dans les zones peuplées avec des armes. Malgré plusieurs initiatives de négociations, dont un processus piloté par la Communauté de l’Afrique de l’Est, les autorités congolaises ne sont pas parvenues à démobiliser et à désarmer les groupes armés de la région. 

L’attaque menée par la CODECO contre le camp de Lala a violé l’interdiction des attaques contre les civils et les infrastructures civiles prévue par le droit international humanitaire. Le meurtre délibéré de civils et le pillage de biens constituent des crimes de guerre. Les commandants responsables d’avoir ordonné l’attaque ou qui en assument la responsabilité du fait de leur position au sein de la chaîne de commandement devraient être poursuivis de manière appropriée.

Le gouvernement congolais devrait prendre des mesures pour s’assurer que les groupes armés agissent conformément à la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala), qui stipule qu’il est interdit de « violer le caractère civil et humanitaire des lieux où les personnes déplacées sont accueillies et de s’infiltrer dans ces lieux ».

En décembre 2022, le Conseil de sécurité des Nations Unies a renouvelé le mandat de la MONUSCO, et souligné à cette occasion que « la priorité doit être accordée à la protection des civils dans les décisions concernant l’utilisation des capacités et des ressources disponibles ». Le Conseil a demandé à la mission de prêter une « attention particulière » aux civils rassemblés dans les camps de personnes déplacées comme celui de Lala. Contrairement à d’autres opérations de maintien de la paix de l’ONU, la mission en République démocratique du Congo est aussi chargée de mener des « offensives ciblées et énergiques... en vue de neutraliser les groupes armés ».

« Tant que les civils de l’Ituri estimeront qu’ils ne sont nulle part en sécurité, le gouvernement congolais et les forces de maintien de la paix de l’ONU devront faire davantage pour mettre fin aux tueries », a conclu Thomas Fessy. « Mais pour trouver une solution à long terme, il faudra que les institutions gouvernementales, avec le soutien de la communauté internationale, intensifient leurs efforts pour enquêter sur les abus et en poursuivre les responsables. »  

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